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31 août 2020

Benoît Quignon : "La SNCF est devenue un acteur majeur de l'immobilier et du développement urbain"

Benoît Quignon, arrivé en février 2016 à la direction de la branche immobilière de la SNCF, décrit un changement culturel de la vieille maison, passée à un fonctionnement moderne de gestion de ses actifs, tout en répondant aux besoins de l'évolution des matériels et du réseau. Au moment de son départ pour diriger les services de la Ville de Marseille, il dresse le bilan de la création d'une entité qui développe, valorise un patrimoine de 8,5 millions de mètres carrés dont SNCF Immo assure aussi le facility management, et dont elle pourrait bien devenir également le propriétaire via une ou des foncières.

"La SNCF va vers une organisation immobilière totalement intégrée et unifiée, et elle a recréé une marque vis-à-vis des collectivités locales", analyse Benoît Quignon, qui fut un expert de ces dernières avant de plonger dans la mutation immobilière de la SNCF. Une entreprise d'Etat dont il vient de contribuer à transformer la culture interne. 

Dans ce mouvement d'hyper-professionalisation immobilière, SNCF Immo est devenue un acteur majeur du développement urbain, inventant de nouvelles méthodes de conduite des projets en s'ouvrant à la société civile, résolument dans une approche de transition écologique. Ce qui donne à son patron sur le départ un regard renouvelé sur les enjeux actuels de l'aménagement du territoire - auxquels il va se confronter à la tête de l'administration d'une des plus grandes villes de France.

Propos recueillis par Rémi Cambau - 26 août 2020

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SNCF Immo aux Entretiens du Cadre de Ville - 8 octobre - Et maintenant, des villes sobres, agiles et résilientes
 
Après une 4e édition consacrée à l'adaptation permanente au changement, le comité scientifique des Entretiens du Cadre de Ville dont fait partie SNCF Immo propose 16 thématiques qui font bouger la ville. Des thèmes évidents à l'épreuve du coronavirus. Aération, densité vivable, proximité, mobilités, biodiversité et sols vivants, services, quelle nouvelle qualité urbaine ? Une journée pour découvrir les avancées déjà en œuvre. Avec aussi 5 key-notes et une table-ronde, les 5e Entretiens du Cadre de Ville amèneront les porteurs de 36 expériences d'aménagement urbain à échanger avec 700 professionnels sur des modes enrichis bi-média. 
 

> voir le programme et la liste des 36 projets innovants et des 50 intervenants le 8 Octobre 2020- Et maintenant, des villes sobres, agiles et résilientes

> Lire aussi l'interview de Johan Ransquin, directeur de la Daat, la direction Adaptation, Aménagement et Trajectoires bas-carbone, à l'Ademe, agence nationale de la transition énergétique

> Rémi Feredj : "Poste Immo porte la ville résiliente et sobre dans ses sites en mutation"

 

Quelles grandes évolutions ont marqué les quatre années et demi pendant lesquelles vous avez dirigé la branche immobilière de la SNCF ? Quels ont été les faits saillants ?

Depuis quatre ans et demi, deux réformes ont marqué la SNCF. Quand je suis arrivé, la réforme de 2014 commençait à se mettre en marche. La première a vu la création de SNCF immo au 1er juillet 2015. L’idée était que les actifs fonciers et immobiliers de la SNCF étaient un élément trop important pour qu’on laisse à chaque entité le soin de s’en occuper. La SNCF connaissait une situation d'enchevêtrement de toutes ses activités et de tous ses fonciers. Si chaque activité décide à sa façon de faire évoluer les choses, aucune rationalisation n'est possible, ni de projet d’ensemble.

L'activité "gares" a cependant été laissée en dehors du regroupement sous la bannière SNCF Immo, dans Gares & Connexions ?
En effet, la réforme aurait pu aller plus loin, mais les gares sont un objet à part entière. Certes il doit y avoir plus d’interfaçage avec gares et Connexion, mais ça marche....
On aurait pu en revanche aller plus loin sur la question de la propriété foncière. La branche immobilière de la SNCF a un mandat pour gérer des actifs dont elle n’est pas propriétaire. L’acteur unique qu'a constitué SNCF Immo a permis de beaucoup - beaucoup - progresser. Il a permis de rendre l'activité plus lisible, plus agile, plus transparente, plus performante, pour la SNCF comme pour les villes. Avoir un interlocuteur unique quand on est une collectivité territoriale, quand on a un sujet de nature foncière ou immobilière avec la SNCF, plutôt que les représentants de chaque activité, avec des visions différentes, a été un progrès.

Peut-être un jour mon ou ma successeur.e – il y a beaucoup de candidats, hommes et femmes de qualité – aura à retravailler le sujet, et à voir comment une ou plusieurs foncières pourraient être constituées pour aller jusqu’au bout de cette évolution. Ce serait un plus, mais cela ne nous a pas empêché d'avancer.

C'est peut-être le point le plus important de ces cinq ans : on est rentré dans une logique nouvelle, unifiée, porteuse d'une vraie stratégie immobilière d'ensemble, avec des déclinaisons par objets. Comment on améliore le patrimoine industriel ferroviaire, comment on le rationalise, comment mieux valoriser nos actifs, pas seulement par des cessions, mais aussi par l’aménagement, par de la promotion immobilière, ce que nous avons fait sur une trentaine de sites stratégiques.
Et puis cela a permis de relancer la production de logements, d’abord pour des cheminots avec ICF Habitat, et avec Novedis pour la partie logement libre. Mais aussi, par des cessions, de contribuer à alimenter la production nationale, au départ sous la houlette de Thierry Repentin, dans le cadre de la mobilisation des fonciers publics, pour aboutir à voir 16 000 logements construits sur nos actifs pendant la période de cinq ans qui s'est achevée en 2018. Aujourd'hui, une convention est toute prête à être signée lorsque la nouvelle ministre du logement Emmanuelle Wargon le décidera pour poursuivre cette dynamique.
La SNCF est une entreprise citoyenne, qui cherche à faire que ce qui n’est plus utile pour elle le soit pour la société française.

Ce grand changement avait été souhaité, dessiné en quelque sorte en 2014, Guillaume Pépy et Sophie Boissard, notamment, en avaient eu la juste intuition, et je pense que nous avons su le mettre en musique et le développer. Je passe le relais à une femme ou un homme qui va poursuivre dans cette voie. Nous n'avons fait qu'une petite partie du chemin. Des chantiers d'aménagement, de transformation industrielle et ferroviaire sont engagés, mais le travail est gigantesque. Nous gérons 25 000 logements et 8 millions et demi de mètres carrés.

Comment ce patrimoine a-t-il évolué entre votre arrivée et maintenant ?
La logique dans laquelle nous sommes rentrés est déjà celle d'une foncière. Quand je suis arrivé, il y avait à peu près 8,6 millions de mètres carrés bâtis à la charge de SNCF Immo, et maintenant il y en a 400 000 de moins. Mais derrière ce solde net de moins 400 000, il y a eu deux mouvements. Sont entrés en gestion 400 000 m², par des prises à bail, par des constructions nouvelles, par des restructurations. En même temps que ce patrimoine, a priori de meilleure qualité, rentrait dans nos actifs, nous nous sommes libérés de 800 000 m². Des bâtiments, des friches... Nous avons nettoyé, abattu, déconstruit, recyclé, vendu ou dénoncé des baux, et nous nous sommes libérés de superficies qui étaient chères à entretenir, et pas forcément en bon état.

Ce mouvement d’entrée et de sortie, qui va se poursuivre, et je souhaite que cela s'accélère encore, va nous conduire à faire monter en qualité, en sobriété, efficacité industrielle, le patrimoine sous gestion immobilière et foncière, pour progressivement en avoir moins, mais beaucoup mieux.

Voilà le grand mouvement entre 2015 et maintenant. Nous n'en étions pas forcément conscients au départ, mais ma satisfaction aujourd'hui c'est de me dire que la dynamique est enclenchée, et qu'on ne reviendra pas en arrière. Nous sommes entrés dans un cycle ou, grosso modo on remplace 100 par 50 de meilleure qualité, parce que les 100 ne rendaient pas les services qu'on attendait.

Ce n'était pas un des objectifs de la création de SNCF Immo ?
Au départ il y avait bien trois piliers : rationalisation, valorisation et développement du logement, mais ce fonctionnement en foncière qui travaille ses actifs n'était pas dans la culture de la maison, n'avait pas été imaginé. C'est d'autant plus intéressant.

Qu'a changé la réforme de 2018 de la SNCF pour sa branche immobilière ?
C'est un autre élément dans la mutation de SNCF Immo. La réforme a notamment reconfiguré l’architecture d’entreprise de la SNCF. Ce qui nous a donné des interlocuteurs un peu plus nombreux. L'adaptation a donné une preuve de plus de la robustesse de la branche. D'ailleurs, SNCF Immo a été conforté par la réforme comme un outil indispensable - une belle satisfaction pour moi. On nous a même confié une responsabilité supplémentaire sur la partie aval de la chaîne immobilière.

Il ne suffit pas de construire ou d'acheter, il faut aussi exploiter au quotidien. Et on sait bien que la question des services prend encore plus de place - on l’a encore plus vu avec le Covid : la propreté, le gardiennage, le réagencement de bureaux, les questions de chauffage, tout ce qui constitue le facility management.
Cette fonction était encore plus éclatée que celle du patrimoine immobilier. Nous avons récupéré cette activité au début de cette année 2020, et un peu moins de 500 personnes. SNCF Immo gère 750 000 m² et accueille 44 000 occupants. Le pas suivant, vers la gestion des 8 milllions de m² du patrimoine SNCF, et ses 150 000 agents, dans les trois ans qui viennent, est acté - toujours à l'exception des gares.

L'organisation se met en place au 1er janvier 2021, avec une première étape concernant uniquement les mètres carrés tertiaires. Il est prévu ensuite d'intégrer petit à petit on va l’exploitation, les centres techniques industriels et de maintenance… C’est déjà le cas des techni-centres livrés par SNCF Immo et l’an prochain des trois campus de formation de SNCF Réseau à livrer fin 2021.
C'est aussi une vraie révolution. La SNCF va vers une organisation immobilière totalement intégrée et unifiée. En tenant à la fois l’hyper quotidien et sa gestion, mais et aussi la réflexion long terme immobilière pro domo, et urbaine avec les villes, dans la même structure.
Cette dimension de service d’accompagnement de bout en bout permet d’envisager des formes plus audacieuses d’aménagement, parce qu’on sait qu’on assure la gestion ensuite.

Quelles sont les évolutions marquantes dans le domaine de l'urbain ?
D'abord, nous avons retrouvé une marque dans le monde des collectivités locales. C’était plutôt frictionnel. Je l’ai vécu quand j'étais directeur général du Grand Lyon. Notre évolution en guichet unique a obligé à être performants aussi vis-à-vis des partenaires extérieurs. Nous y sommes arrivés grâce aux équipes de terrains, et à celles de Fadia Karam dans Espaces Ferroviaires, avec une capacité proactive à apporter des idées. Dans beaucoup de cas, nous avons surpris nos interlocuteurs, alors que nous étions souvent auparavant à la remorque des demandes des élus. Notamment, cela fait gagner beaucoup de temps.

Dans plusieurs dizaines de cas en France - pas forcément les plus spectaculaires - nous avons proposé aux élus des idées qui ont rencontré leurs réflexions, et débouché.
Dans cette logique, nous sommes rentrés naturellement dans les appels à projets, notamment en région parisienne - appels lancés soit à notre initiative, soit à celle des collectivités. Il y cinq ou dix ans nous aurions peut-être essayé d’éviter ce type de procédures. De très beaux projets vont en sortir.

Enfin il me semble que nous avons acquis une agilité, une capacité à capter l’air du temps et les façons nouvelles de faire la ville. L’urbanisme transitoire est parti d'expériences parfois spontanées et très marginales, des démarches souvent artistiques. Puis on a vu émerger des lieux de vie, et la SNCF a su, au travers de sa branche, être ouverte ç d'autres propositions qui lui étaient faites, qui ne correspondaient pas toujours au cahier des charges de départ. Des gens sont venus avec d'autres idées, plus ambitieuses, dans de nouveaux champs : de l'économie sociale et solidaire, du divertissement, de la convivialité, de la restauration, de l'agriculture urbaine.
Nous avons su ouvrir une vingtaine de projets permanents. En 2021, une trentaine de projets seront actifs dans toute la France. Ils se renouvellent, et contribuent à redécouvrir la valeur du patrimoine de la SNCF. Valeur humaine, valeur symbolique, architecturale, économique aussi. Ils permettent ensuite d'envisager des programmes différents. La fabrique de la ville a beaucoup évolué.

Justement, ne trouvez-vous pas que la démarche de mise en évidence d'attentes et d'usages futurs à travers les expériences d'urbanisme transitoire tarde à se généraliser ?
Oui, et c'est dommage. Nous en avons fait un peu notre fer de lance. Assez vite convaincus, nous avons aussi été bluffés par le succès des premières opérations. Nous avons aussi pour nous d'être très jeunes, même si la maison SNCF est ancienne. La branche Immo s’est créée en même temps que ce phénomène est apparu, et il a été un de nos marqueurs, à l’initiative de quelques-uns.

Il a fallu progressivement documenter et professionnaliser des approches très techniques, juridiques, de bâtiment, de sécurité, réglementaires. C’est un métier. Nous avons pu définir un corps de règles et de méthodes, formé plusieurs dizaines de nos collaborateurs, et donné une forme de sensibilité à ceux qui sont en charge de la valorisation locative et du patrimoine. C'est devenu un réflexe. Nous en avons fait un métier.

Nous avons considéré que cela faisait partie de la palette des compétences quand on a en charge la gestion d’un patrimoine. Parce que cela permet de re-dynamiser des lieux et des espaces, de retisser un lien avec l'environnement - et de toutes façons nous allons être sollicités .
Ce n'est pas une forme de mécénat, c’est une nécessité, une façon de sortir par le haut de la pression exercée sur notre patrimoine. C'est une manière agile - pour ne pas dire habile - de faire patienter et de rentrer dans une discussion sur les objectifs, en posant dès le départ une forte ambition. Sans compter le besoin d'encadrer la fréquentation de certains lieux - on ressent bien cette question en temps de Covid. la démarche donne un sens nouveau, complète, enrichit la valeur et le sens à des projets de transformation que l'on avait à peine esquissés.

Au-delà des intérêts de SNCF Immo en quoi peut-on dire que c'est une façon nouvelle de faire la ville ?
La façon traditionnelle de faire la ville a sédimenté des réglementations complémentaires qui ont étoffé les processus : enquêtes publiques, débats, sont devenus des carcans, contrairement à leur objectif. Seuls les spécialistes des procédures s’y retrouvent - ce qui est assez antidémocratique. Les discussions sont verrouillées du début à la fin. Lorsqu'on s'en écarte, permis de construire ou d'aménager deviennent aussitôt objet de contentieux.

On arrive ainsi à une rigidification des manières de construire de la ville qui me semble catastrophique. Certes, autrefois ce n’était pas toujours concerté, mais je ne suis pas sûr que ce le soit plus sur le fond. A l'inverse, il me semble avoir pu aller beaucoup plus vite, beaucoup plus loin, être plus incluant et léger et innovants dans diverses expériences professionnelles, que dans les processus très administrés qui sont les nôtres aujourd'hui.
Justement avec l’urbanisme transitoire, comme on est hors réglementation - et il faut le rester - il est possible de tester des usages, des idées de faire, des configurations de lieux, et d'en tirer les leçons - c'est souple, c'est pas cher et c’est réversible.

Pardon d'insister, mais pourquoi la méthode ne se généralise-t-elle pas ?
Je reste persuadé que c'est nécessaire pour caler un projet. On veut être innovant, mais on n'est pas sûr de ce qu'on veut - faisons-le de manière provisoire. On peut comprendre que les sociétés d'aménagement titulaires de concessions ont besoin que leurs opérations sortent vite. La partie urbanisme transitoire, c’est la partie amont, dans laquelle l'opérateur, l'aménageur ne trouve pas vraiment son modèle économique. C'est un jeu à somme nulle.

Les friches ou les éléments sous-utilisés du type de ceux de la SNCF, les collectivités en ont beaucoup. Beaucoup plus que la SNCF au total. Mais elles n’ont pas forcément encore une vision très dynamique de leurs actifs - elles ne raisonnent pas en foncières. La culture publique peut se méfier d'une telle approche. Elles sont très tentées avec des réserves, parfois échaudées par des expériences comme en a connu Lyon sur la friche RVI Feuillat. Le traumatisme s'efface seulement depuis quelques années, notamment autour d'expériences avec SNCF Immo...
Un projet baptisé Territoires marche bien, à côté des Halles Jean-Macé. Une consultation très ambitieuse se prépare sur les Halles Jean-Macé elles-mêmes. Des réflexions sont en cours du côté de la Mulatière.

Comment l'enjeu de reconquête des friches à travers l'urbanisme transitoire rejoint-il celui de l’artificialisation des sols ?
Se réinterroger sur les actifs délaissés, c’est aussi le moyen de désimperméabiliser, et de lutter contre les îlots de chaleur. C'est ce que fait SNCF Immo fait à la Cité Fertile en réouvrant la pleine terre.
J’ai d'ailleurs demandé qu’on mesure, dans les projets Ordener ou Gare de Lyon, dans quelle proportion on est conduit à dés-imperméabiliser des terrains souvent bitumés ou bétonnés.

Cette approche "climatique" peut-il être un vecteur supplémentaire pour changer les façons de faire la ville ?
Oui. Nous avons contribué à faire émerger des formes nouvelles de la fabrique de la ville, qui ont essayé de desserrer le carcan de l’urbanisme programmatique habituel. Les appels à manifestation d'intérêt par exemple, ont secoué la maison. Aujourd’hui faire de la ville ce n’est plus d'accumuler des objets. Ce n'est même pas une succession de bâtiments, d’espaces verts et d'activités. Il faut une vision d'ensemble dès le début, en intégrant - c'était à la fois évident et révolutionnaire - les futurs exploitants. Dans les AMI, au sein des équipes, on trouve ceux qui vont dessiner, qui vont concevoir, qui vont construire, qui vont commercialiser, ceux qui vont proposer une programmation, et puis ceux qui demain ou après-demain seront à la manœuvre pour exploiter les lieux. Ils vont apporter à la fois de la crédibilité à la proposition, mais aussi une forme d'assurance pour la collectivité. On les connaît.

Ces montages sont très sophistiqués, et cela ne peut pas se faire partout. Mais, quand l'animateur de la démarche est assez ouvert - ce n'est pas toujours le cas - les futurs exploitants peuvent apporter des idées, signaler des points de vigilance, attirer l’attention.

Au-delà des appels à projets, dans les villes, l'exploitant peut être privé. Où en est-on des rapports avec les collectivités ? Intègre-t-on mieux ceux qui seront les gestionnaires ? Pourrait-on voir un retour de la méfiance s'installer après le Covid, et un retour à la prépondérance de l'acteur public ?
Oui, je le pense. La ville ne doit pas se dessaisir de ses responsabilités de gestion et doit rester le maître d’ouvrage notamment de l’espace public. Elle peut confier l’exploitation à d’autres mais sous son autorité.
Sinon, on aboutit vite à des phénomènes de privatisation de l’espace public, de condominium. C’est le rêve de beaucoup, y compris des acquéreurs d'appartements – restons chez nous. Alors, on détruit la ville.
La ville ou l’agglomération doit exercer ses responsabilités. et ne pas se défiler.

Les agents qui vont exercer le service peuvent être des salariés privés. Mais la délégation de service public, vieux modèle, est rare sur de l’espace public. J'ai participé au début des années 2010 au mouvement de reprise en main par les maîtres d'ouvrage publics.

Le système se renouvelle. Le modèle évolue - je pense que les nouveaux élus lyonnais vont interroger le modèle de partenariat public-privé, quitte à le conforter ou l'amodier à la marge. D'autres villes, qui étaient plutôt du côté de la gestion en régie, à la fois parce qu'elles veulent tester autre chose, ou qu'elles sont insatisfaites du service rendu, ou qu'elles veulent aller plus vite, vont essayer d'autres solutions, en commençant par tel ou tel objet urbain ou de politique publique.
Le vrai sujet, c’est celui de la maîtrise. Et ce n'est pas parce qu'on a des agents en régie que l'on contrôle vraiment les choses. C'est paradoxal, mais quand on est dans la gestion, dans l'exploitation, on peine parfois à prendre la hauteur de vue nécessaire. On passe son temps à gérer des contraintes liées à l'exploitation. On n'est pas assez dans la conception et la programmation.
Alors que, quand on se lance dans un exercice de DSP, on est obligé de se concentrer sur les objectifs. C’est quoi le service public ? On ne ne peut pas se réfugier dans l'exploitation.

Dans quel moment de l'aménagement du territoire sont les villes et les métropoles ?
Nous avons achevé la précédente décennie avec les lois Maptam et NOTRe, qui ont marqué une forme d’étape - à l’initiative d’ailleurs de Gérard Collomb, à qui il faut rendre hommage sur ce point. Elles ont permis l’affirmation des métropoles comme une armature urbaine du pays, constituant un archipel urbain, pour reprendre la formule de Pierre Veltz.

Paradoxalement, au premier abord, mais on a vu qu’il y avait des raisons profondes, les cinq années qui viennent de s’écouler, qui auraient pu voir les métropoles se déployer, devenir plus intenses, mettre en place leur gouvernance élargie, les ont vues vilipendées, critiquées, remises en cause comme étant facteurs d’exacerbation des inégalités territoriales, voire même d’inadaptation aux questions sanitaires.
On leur fait un procès un peu injuste, mais elles ont leur part de responsabilité. C’est injuste parce que tous les chiffres montrent – notamment Laurent Davezies – que les métropoles irriguent leurs territoires et leur hinterland, où elles jouent vraiment le rôle de locomotive. Elles redistribuent de la richesse, parfois avec une dynamique plus forte qu’au centre en deuxième, troisième ou quatrième couronne. C’est ce que j’ai vécu à Lyon. Certains pensaient : « Lyon pompe tout », eh bien non, au contraire, ça refoulait plus que ça ne pompait. C’est une réalité scientifiquement mesurée mais c’est difficile à faire comprendre.