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15 juillet 2021

Perl et son usufruit locatif social, "outil d'appoint" des acteurs publics pour résoudre les équations complexes

L'ULS est une technique de démembrement temporaire fondée sur une séparation de la propriété d'un bien en deux : l'usufruit locatif acquis par un bailleur social pour une durée de 15 à 20 ans, et la nue-propriété acquise par un investisseur privé pour la même durée. Conçu par la société Perl, filiale de Nexity, l'outil est une niche mais cherche à être un dispositif complémentaire au logement social classique. Il peut notamment soutenir la maîtrise d'ouvrage directe des bailleurs sociaux, explique à Cadre de Ville Tristan Barrès, le directeur général de Perl.

Tristan Barrès - Crédits photos : Perl

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Perl a récemment annoncé le 7e débouclage de l'une de ses opérations, à savoir une fin d'usufruit de 62 logements à Vincennes, dans le Val-de-Marne. 62 logements qui avaient été achetés par des investisseurs particuliers en nue-propriété quinze ans plus tôt (avec 30 à 40% de décote) pour être loués sur cette durée à un bailleur social, lequel louait lui-même à des locataires de son parc. Vous avez débouclé environ 200 logements depuis les débuts de Perl. Comment cela se passe ?
D'abord, c'est le privilège de l'âge, nous sommes le seul acteur à avoir faire du débouclage d'ULS (usufruit locatif social) puisque nous avons 21 ans et que la durée de l'usufruit dure 15 à 20 ans. Chez Perl, nous avons un service dédié au débouclage, qui s'occupe de l'accompagnement des bailleurs et des nus-propriétaires sur toute la durée. Deux à trois ans avant la date de débouclage, on demande aux parties prenantes ce qu'elles veulent faire. En général, un tiers des propriétaires veulent continuer à louer après, à leurs locataires préalables ou à d'autres (le loyer n'étant plus social). D'autres récupèrent leur bien pour leur usage propre. D'autres encore le revendent. Pour le cas de Vincennes, sur l'ensemble des propriétaires, 32 logements ont été remis en vente [au prix du marché], 21 ont été remis en location, 9 logements ont été repris. Pour l'ensemble des locataires, 8 ont continué à vivre en location dans leur résidence (leur loyer a néanmoins augmenté), 2 ont racheté leur appartement, 18 ont été relogés dans le parc social du bailleur social et dans la même commune et 34 ont trouvé d'autres solutions de relogement social, privé ou en acquisition.

Nous avons débouclé six autres opérations avant cela à Evreux (15 logements), Levallois-Perret (41 logements et 15 logements), Saint-Maur-des-Fossés (18 logements), Boulogne-Billancourt (13 logements) et Issy-les-Moulineaux (24 logements).

Vous êtes positionnés en Île-de-France avant tout ?
Beaucoup en Île-de-France et en Paca mais nous travaillons dans toutes les métropoles, dans les agglomérations de toute taille, dans les communes carencées SRU et en zone littorale. En fait, l'ULS est intéressant quand le prix au mètre carré est élevé parce que c'est dans ce contexte que les bailleurs sociaux atteignent leur plafond de verre. C'est là que Perl est utile : pour faire sortir des opérations qui auraient eu du mal sans cela. Exception à cette règle de la cherté du foncier, nous travaillons aussi sur les cœurs de ville, où le prix n'est pas forcément élevé mais où la difficulté réside dans les coûts de transformation très importants pour faire muter des friches ou des bureaux, démolir-reconstruire - ce sont des opérations déséquilibrées.

L'Hôtel Désilles de Saint-Malo transformé en 12 logements sociaux en 2017 (avec Emeraude Habitation) - Crédit photo : Solange Becker pour Perl

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Combien de logements sont en cours d'ULS et combien d'opérations nouvelles visez-vous ?
Depuis le début, on a passé le cap des 9 400 logements sociaux dans une bonne centaine de villes. Aujourd'hui, on est à 1 000 logements par an - avec les concurrents qui font de l'ULS, on doit être à 1 500 en tout -. Notre production draine entre 350 et 400 millions d'euros de capitaux privés qui financent du logement social. Il y a vraiment de la place pour doubler/tripler cette production et doubler/tripler les montants des capitaux privés associés, sans aller marcher sur les pieds des bailleurs sociaux. On a des investisseurs qui ont de l'argent, il faut juste brancher le tuyau entre cet argent et les opérations compliquées à sortir.

Le logement social en France, c'est bon an mal an autour de 100 000 agréments par an. Passer de 1 000 à 3 000 en ULS, et quand bien même on irait jusqu'à 5 000, n'inonderait pas la production de logement social française. Nous sommes un outil d'appoint.

"L'apport d'épargne privée et les autres avantages cumulés, cela peut permettre de faire sortir des opérations à 60-100% social aussi facilement que des opérations privées. C'est vrai en Île-de-France, en Paca. Cela mérite d'être creusés avec les bailleurs sociaux"

Quel est l'intérêt pour un bailleur social de travailler avec vous ?
Nous avons plusieurs choses à proposer aux bailleurs sociaux. D'abord, mieux travailler les débouclages d'opérations en amont. Nous pouvons être un peu plus imaginatifs dans les politiques d'attribution de logements en fin d'usufruit. Par exemple, quand on arrive à 3-4 ans avant la fin de l'usufruit, pourquoi ne pas attribuer le logement à un étudiant ou à une colocation d'étudiants, ou encore à de jeunes actifs - statistiquement plus mobiles - ou avoir des partenariats avec des associations qui logent en intermédiation locative des personnes en difficultés et dont l'ADN est de chercher des logements pour mettre le pied à l'étrier à des ménages pour les reloger deux ans après et de trouver des solutions de relogement ? On peut même imaginer avec les bailleurs sociaux de développer des options de rachat de logement par les locataires - il peut y avoir une clause de préférence.

Par ailleurs, ce qui peut séduire les bailleurs sociaux et n'est pas encore très répandu, c'est que l'on peut faire de l'ULS en Vefa inversée. Les bailleurs sociaux ont décru au fil du temps en terme de maîtrise d'ouvrage directe, ils souhaitent néanmoins conserver ou accroître cette compétence. Vu que les prix au m² dans les zones tendues ont augmenté et que les conditions de sortie de logements (plafonds de loyer, etc) n'ont pas augmenté au même rythme, il y a un décalage de plus en plus grand. Lorsqu'il y a des consultations privées, les bailleurs sociaux sont souvent handicapés pour répondre face à des promoteurs, c'est pour cela qu'ils s'allient à des promoteurs via la Vefa pour faire des programmes.
Pour un bailleur, répondre à des consultations en Vefa inversée, c'est lui permettre de construire 100% des logements et d'en garder 30% en propriété - pour les 70% restants, il ne garde que l'usufruit et nous revend la nue-propriété (c'est ce qu'on fait avec les promoteurs mais de manière inversée). Ce démembrement permettrait aux bailleurs sociaux d'être aussi compétitifs que des promoteurs privés, en s'appuyant sur l'épargne privée.
Qui plus est, cela déclenche plein d'autres bénéfices. Par exemple, le fait que plus vous fassiez du logement social entraîne, avec certains PLU, une moindre proportion de parkings à réaliser. Quand vous évitez de faire des niveaux de parkings souterrains parce que vous avez fait plus de social, ce sont des coûts en moins, et c'est susceptible de faire basculer l'opération dans l'autre sens. Nous avons déjà deux opérations en vue en Île-de-France.

L'apport d'épargne privée et les autres avantages cumulés, cela peut permettre de faire sortir des opérations à 60-100% social aussi facilement que des opérations privées. C'est vrai en Île-de-France, en Paca. Cela mérite d'être creusés avec les bailleurs sociaux.

Nous avons des partenariats avec de gros bailleurs surtout, pour en citer quelques-uns seulement : CDC Habitat, Erilia, Unicil, Promolgis, Hauts-de-Seine Habitat, RIVP... Avoir des partenariats diversifiés avec les bailleurs sociaux nous permet d'optimiser les solutions de relogement en fin d'usufruit pour les locataires, en démultipliant les possibilités d'offres. Sachant que nos opérations en moyenne font 20 ou 25 logements, et que cela ne représente qu'une petite part de relogements à effectuer à chaque fois.

"Il y a une troisième voie [...] qui est d'utiliser le financement privé pour faire du logement social pendant vingt ans. Il suffit d'avoir le réflexe et de le savoir pour monter une opération"

Que pensent les collectivités de l'ULS ?
Quand elles connaissent le dispositif, elles comprennent que cela permet de ne pas mobiliser les fonds propres du bailleur social, ni les financements publics en général. Nous leur disons qu'il peut y avoir du financement privé, et que cela ne vient pas remplacer le financement public - cela vient en appoint, pour débloquer des projets. Nous évoquons cela aux maires qui sont dans des communes en déficit de logement social ou d'autres confrontés à la problématique de faire du logement abordable dans ce qui est déjà construit ou après réhabilitation.

Evidemment, les collectivités comprennent aussi qu'avec l'ULS, le logement social ne dure qu'une certaine durée et pas 40-50 ou 100 ans. Il y a un réflexe parmi les décideurs locaux, quand tout fonctionne en logement social traditionnel et que les financements publics sont là, de maintenir le fonctionnement habituel. Ils ont raison. Mais nous estimons être utiles quand les opérations sont compliquées et que les coûts de foncier sont importants. Une solution plutôt que d'abandonner l'opération, ou de la laisser au secteur privé, ce qui arrive souvent lorsque des immeubles sont vendus et que la Ville ne préempte pas ou que le bailleur social ne peut pas acheter. Il y a une troisième voie entre les deux, qui est d'utiliser le financement privé pour faire du logement social pendant vingt ans. Il suffit d'avoir le réflexe et de le savoir pour monter une opération.

On peut se plugger à n'importe quel type de logement social, saisonnier, étudiant, familial, associatif. Nous pouvons affiner en fonction des attentes de la collectivité. Certaines disent ne pas vouloir de PLS, pour d'autres c'est l'inverse parce qu'elles ont déjà du PLAI et/ou des PLUS. Certaines veulent du logement étudiant social - elles sont confrontées à la problématique de voir émerger des résidences étudiantes privées : à équilibre économique constant pour la collectivité, le logement étudiant sort à 290 euros en ULS, sinon c'est 490 euros dans le privé.

Si les collectivités le souhaitaient, on pourrait même imaginer d'encadrer le dispositif, de signer des chartes avec elles pour identifier les cas où l'ULS est pertinent sur le périmètre et les engagements que Perl peut prendre en matière de débouclage.

Pouvez-vous nous citer des cas pratiques où l'ULS est pertinent ?
Un maire d'une ville très touristique de Paca me dit "j'ai le problème SRU, je n'ai plus de foncier disponible donc je suis obligé de produire mon logement social dans l'existant". Son deuxième sujet est que les immeubles qui sont vendus sont trop cher pour le bailleur social. Non seulement il n'arrive pas à sortir les logements sociaux mais ces immeubles partent chez des marchands de bien qui louent ensuite sur Airbnb. Avec l'ULS, on peut acheter au prix du marché, en faisant du social pendant 20 ans (aux yeux de la loi SRU, la durée de l'usufruit + 5 ans).

En Île-de-France, un terrain privé est vendu dans le val d'Oise, on peut faire 26 logements dessus. C'est une ville déficitaire en logements sociaux. Tous les promoteurs de la place répondent en intégrant l'obligation de 30% de logement social et prévoient 70% privé. Nous répondons 100% social et on gagne.

"On veut faire du logement abordable là où justement ça coûte le plus cher. Il n'y aura pas 40 solutions, il faudra trouver des dispositifs innovants. On ne prétend pas être les seuls"

Quelle part occupe le bâti existant dans votre production de logements sociaux ?
L'activité principale de Perl, c'est d'acheter des immeubles neufs auprès de promoteurs. La part d'existant est encore faible mais devient de plus en plus importante. Les problématiques de logement abordable en centre-ville, l'enjeu de refaire la ville sur la ville, de ne plus faire de grands ensembles en périphérie, de ne plus gaspiller le foncier... font qu'il y a cette équation économique très difficile à résoudre : on veut faire du logement abordable là où justement ça coûte le plus cher. Il n'y aura pas 40 solutions, il faudra trouver des dispositifs innovants. On ne prétend pas être les seuls.

On est parfois 100% ULS dans nos opérations ou parfois complémentaire du logement pérenne - on vient alors augmenter la part sociale à équilibre constant. Par exemple, à Saint-Germain-en-Laye, nous avons en ULS 5 logements dans un immeuble d'une dizaine de logements. Nous avons par ailleurs 8 maîtrises d'ouvrage directe en cours, 4 en Île-de-France et 4 en Paca.

Quelle est la proportion de logements très sociaux ?
On peut tout faire, du PLAI à l'intermédiaire (celui-ci n'est pas comptabilisé au titre de la loi SRU), en passant par du PLUS et du PLS. On a inauguré une opération rue de Toul dans le 12e arrondissement de Paris en fin d'année dernière. Il y a une quinzaine de logements PLAI accompagnés par l'association SNL affiliée à la Fondation Abbé Pierre. L'usufruit en PLAI est différent économiquement d'un usufruit en PLS, mais certaines associations, plutôt que de louer des logements au prix du marché pour ensuite les sous-louer à des ménages en difficultés, seraient prêtes à acheter des logements en usufruit pour y mettre des personnes en rotation pendant la durée de l'usufruit.

Qui sont vos investisseurs ?
Ils font un investissement patrimonial mais ont aussi une fibre sociétale. Par exemple, on peut faire de l'ULS dans les QPV pour produire de la mixité à l'envers : on fait du démembrement pendant quinze ans, et au bout de quinze ans, ça devient du privé, cela draine de l'investissement privé dans les quartiers prioritaires de la ville. Aujourd'hui, on étudie la possibilité de réaliser une première opération en QPV en France. Nous savons que l'idée d'investir dans un logement qui a un caractère social, ça attire aussi, il ne faut pas le négliger.

Peut-on imaginer allonger le délai de l'usufruit pour que le bénéfice du logement social dure plus longtemps pour les locataires ?
La rentabilité est intégrée dès le début dans le modèle économique. C'est basé sur le fait que 20 ans après au maximum, le logement basculera dans sa vie privée. Le schéma classique repose sur des durées plus longues que le nôtre, en effet. Mais dans notre cas, plus vous allongerez le délai, plus il sera difficile de trouver un investisseur parce que celui qui peut mettre 70 000 euros pour un T1 en province, ou plusieurs centaines de milliers d'euros à Paris, veut quand même pouvoir récupérer son investissement au moment de sa retraite, ou pour ses vacances, ou pour ses enfants, etc. Il a besoin de pouvoir se projeter.

Entrez-vous en concurrence avec le bail réel solidaire (BRS) ?
Sur le plan technique, avec le BRS on ne dissocie pas la nue-propriété de l'usufruit, on dissocie le foncier du bâti. L'autre différence c'est le public visé : pour nous, des locataires, pour le BRS de l'accession. La troisième différence porte sur les coûts cachés. Ni dans l'ULS ni dans le BRS il n'y a de magie, il y a forcément quelqu'un qui paie. Dans l'ULS ce sont les financeurs privés qui vont financer le logement social pendant 15 ans, avec la contrepartie de récupérer le logement au bout de 15 ans. Dans le BRS, l'idée est que le foncier est porté par une instance (OFS, collectivité, etc). L'accédant ne paiera que les murs. Vis-à-vis de la collectivité publique, d'un côté c'est le privé qui finance le logement social, de l'autre c'est la collectivité. Je pense que les deux ont leur place, d'ailleurs on peut avoir des projets avec une partie BRS (des logements qui comptent de manière pérenne comme du logement social vis-à-vis de la loi SRU) et une partie ULS.

Propos recueillis par Lucie Romano le 6 juillet 2021

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