A l'usage unique de
"Les CAUE peuvent aider les habitants, les élus, les acteurs, à travailler sur un projet culturel, constituer un récit pour les cœurs de ville. Qu'est-ce qui s'y est passé avant ? Comment le faire revivre ?", interroge le président de la Fédération nationale des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, Joël Baud-Grasset. Les CAUE sont partenaires des Entretiens du Cadre de Ville et viendront parler des transitions nécessaires à engager, la rénovation de l'existant notamment, sous l'aune de l'identité patrimoniale et des matériaux locaux, en ancrant cet acte dans son territoire et en permettant une appropriation des habitants.
Joël Baud-Grasset - Crédit photo : Françoise Cavazzana pour le CAUE 74
La FNCAUE est partenaire des Entretiens du Cadre de Ville qui auront pour thème cette année "Transition(s) : Villes et territoires passent à l'action". Le changement climatique appelle une entrée en transition(s) rapide et puissante. Sur quels aspects la Fédération nationale des CAUE est-elle en particulier mobilisée ?
Nous travaillons notamment sur l’énergie, en lien avec nos partenaires. Au-delà de la dimension technique indispensable, nous prenons en compte l'aspect patrimonial des bâtiments, que nous devons rendre efficace au niveau thermique et énergétique mais pas seulement. Nous préconisons une approche globale, pour répondre à d’autres questions, telles que l'accessibilité et le parcours résidentiel. La FNCAUE fait parfois office de poil à gratter face à la volonté d'efficacité promue par le gouvernement car elle appelle à des réflexions en amont des sujets, plus transversales, qui prennent du temps certes mais en font gagner ensuite et évitent des écueils. C’est le message que je porte auprès des acteurs, en tant que président du CAUE de Haute-Savoie et de la fédération : n'ayons pas une seule entrée sur ces questions thermiques et de transitions (par exemple en faisant appel à des solutions voulues innovantes pour isoler par l'extérieur des façades avec du polystyrène), ayons une approche globale. La massification, d’accord, mais sans sacrifier notre identité locale.
Les CAUE ont un savoir-faire sur les matériaux locaux et leurs bénéfices en matière d'écoconstruction. Tous les CAUE ne sont pas bien dotés avec leur taxe d'aménagement et ne peuvent pas lancer des expérimentations, mais nous sommes un réseau, nous pouvons faire connaître les pratiques qui se font ailleurs pour que tous les CAUE puissent en bénéficier.
Dans votre CAUE de Haute-Savoie, vous avez mené un projet pour faire connaître les alternatives à la rénovation thermique simple.
Nous avions un petit bonus avec la taxe d'aménagement et nous avons eu les moyens de lancer un appel à projets pour que des architectes réfléchissent à la réhabilitation d'une ancienne barre d'immeuble des années 60 dans une petite ville aujourd'hui rattachée à Annecy, pour moitié habitée par des locataires d'un bailleur social, pour moitié par des accédants à la propriété. Le thème était "comment on aborde un bâtiment qui est une épave thermique ?" sans oublier tout le reste des considérants (accessibilité, etc) ? Nous avons demandé aux résidents, aux propriétaires, parfois installés depuis plus de trente ans de réfléchir à la manière dont ils allaient vieillir dans ce bâtiment, eux qui voulaient continuer à y vivre. Nous leur avons expliqué qu'ils pouvaient transmettre une épave thermique ou un bien avec de la valeur (à leurs enfants ou à des acheteurs), en pouvant ensuite s'offrir un logement en cœur de ville ou en maison de soins. Dans le cadre de l'appel à projet, les équipes d’architectes ont ensuite fait émerger des opportunités, en faisant fi des règles d’urbanisme - nous sommes partis du principe que si le projet était bien ficelé, nous saurions modifier les règles. Leur proposition a été de financer la réhabilitation en passant par une construction supplémentaire, avec trois options : dessus, devant ou sur le côté du bâtiment existant - les habitants ont choisi une construction à côté de leur immeuble parce qu'avec la pente sur le site, la vue n'était pas gênée - nous avons un savoir-faire de construction dans les pentes. Nous avons travaillé avec le bailleur social et coanimé ce travail avec la collectivité.
C'est un cas d'école pour prouver aux élus qu'ils ont des possibilités. Les CAUE peuvent conduire ce type d’expérimentation. Le principe que je défends à travers cet exemple c'est qu'en se privant d'un conseil amont, on ne pourra pas faire émerger des solutions de bon sens et basées sur les besoins des gens.
Nous travaillons aussi sur la démarche Bimby (Build in my BackYard, pour densifier en construisant dans les jardins) avec des géomètres et des paysagistes pour retravailler le parcellaire de manière fine et adapter les lieux au changement climatique. Avant, il y avait des communs dans les cœurs de village : le lavoir, le four à pain, la fontaine. Aujourd'hui, parfois, c'est le local à poubelles. Chacun est cantonné dans son lieu, sans liens avec les autres. On a par le passé connecté le réseau routier non pas au cœur de village mais au centre commercial... Il est difficile de recoudre ces tissus mais nous pouvons retravailler sur les mauvais découpages du passé, pour redonner un sens.
Les transitions, c'est aussi la transmission d'une génération à l'autre d'un patrimoine, d'une histoire de l'urbanisme. D'ailleurs, les notaires peuvent être des interlocuteurs intéressants pour sensibiliser les acheteurs sur l'intérêt de rencontrer un CAUE pour retravailler sur leur nouveau logement.
Sur cette attention à l'identité du patrimoine et aux matériaux locaux, quelques exemples de pratiques portées par des CAUE seront présentés lors des Entretiens du Cadre de Ville : la mise en scène du patrimoine à Mauléon dans les Deux-Sèvres, autour du site de l’abbaye, et le travail du CAUE de Guadeloupe sur le projet de la Gare maritime de Marie-Galante...
Et notre site Internet met aussi en valeur d'autres pratiques. Nous avons entre autres engagé pour nos adhérents un cycle de travail sur l'environnement, "Cycle E", pour les inspirer, bousculer leurs pratiques, les faire monter en compétences : nous avons des fiches projets sur les OAP Paysage et biodiversité, les trames verte et bleue ou encore les espaces naturels sensibles. Il y a aussi par exemple le travail sur le réchauffement climatique, "Mon village en 2054", engagé en Meurthe-et-Moselle. Les CAUE d'Occitanie ont eux monté un programme de recherche-action sur le bâti du XXe siècle en mettant en avant des stratégies de rénovation adaptées à la fois à la qualité architecturale, d'usage et de performance énergétique. Les CAUE du Val-de-Marne et de la Charente participent pour leur part à une expérimentation du nouveau label Effinergie patrimoine lancé en septembre 2019.
A la fédération, nous avons encore mis au point un outil numérique qui s'appelle Archistoire, pour sensibiliser le grand public sur la ville et l'architecture. L'application est mutualisée au niveau national.
Les CAUE peuvent aider les habitants, les élus, les acteurs, à travailler sur un projet culturel, constituer un récit pour les cœurs de ville. Qu'est-ce qui s'y est passé avant ? Comment le faire revivre ? En prenant le temps de demander aux habitants, d'observer... Comme le temps de l'élu est très court, celui-ci peut préférer dérouler le programme qu'il avait annoncé, sans plus rien modifier, et en traitant directement avec les promoteurs et les aménageurs. Mais d'autres élus sont prêts à discuter avec nous.
Votre action sur les territoires s'inscrit désormais notamment dans le cadre des comités locaux de cohésion territoriale (CLCT) mis en place avec l'arrivée de l'Agence nationale de la cohésion des territoires et qui réunit les parties prenantes d'un territoire pour élaborer des projets. A ses débuts, l'ANCT pouvait inquiéter les acteurs de l'ingénierie locale. Mais celle-ci a compris que l'agence avait besoin de s'appuyer sur les forces en présence. Comment travaillez-vous ensemble désormais ?
Nous venons de signer une convention-cadre avec l'ANCT dans laquelle nous nous reconnaissons mutuellement et nous ouvrons les possibles en termes de coopération. Au début, nous étions dubitatifs mais avec les programmes Petites villes de demain et Action cœur de ville et le plan Avenir montagnes, nous constatons un coup d'accélérateur sur les projets, un souhait de mettre en cohérence plusieurs projets et de s'appuyer sur l'ingénierie de proximité. Les CAUE sont sollicités soit par les préfets [qui pilotent les comités locaux de cohésion territoriale, lesquels tranchent sur qui peut faire quoi], soit par l'ANCT au niveau national pour apporter des compétences. L'idée est que le recours à un CAUE devienne un réflexe aussi bien pour un chef de programme que pour un préfet. Nous n'avons pas encore de données stabilisées sur les opérations engagées, nous devrions en avoir à l'automne, mais nous avons des CAUE mobilisés par le CLCT pour des projets sur lesquels ils n'avaient rien programmé initialement.
Comment rentrer dans les projets de revitalisation, embrasser toutes les thématiques, comprenant la question des commerces, de la logistique, de la ville productive ?
Nous avons bien une idée de ce que pourrait être un cœur de ville très actif, sous-tendu par la question des mobilités et d'accessibilité au centre-ville par tous les modes possibles. Si nous voulons éviter le recours aux centres commerciaux de périphérie, il faut plancher sur les mobilités douces, le dernier kilomètre... Ce qui demande à arriver à convaincre, dans des zones moins pourvues en transport en commun actuellement, sur la réduction de la place de la voiture, à modéliser la ville de demain avec une seule voiture pour le ménage et des solutions pour consommer et travailler à proximité.
Le projet de territoire peut partir du dernier commerce sur un espace public et aboutir à intégrer les enjeux y compris de production locale, de la parcelle au territoire. Seule une imbrication d'échelles peut permettre de répondre aux enjeux des transitions.
Et à celui de la lutte contre l'étalement urbain également...
Je note qu'on est passé du ZAN à la sobriété foncière pour que ce soit plus positif dans le message - plutôt que passer par des calculs, quantifier... je préfère le bon sens paysan, les vraies questions sur la manière de conserver des espaces naturels et de garder des réserves foncières pour les générations futures. C'est avant tout une question de bonne volonté et de rapport de force.
Je voudrais vous citer un exemple. Celui du maire de Caluire-et-Cuire, dans la métropole lyonnaise, Philippe Cochet, qui est aussi le président de l’Andeeve, l'Association nationale des élus en charge des espaces verts, du cadre de vie et du paysage dans l’espace public. Un promoteur est venu le voir, et le maire lui a demandé de ne construire qu'à 70-80% la parcelle et de consacrer le reste à des espaces verts, tout en conservant un groupe de conifères et de platanes. Le projet a été concerté avec les habitants pour savoir ce qu'il voudrait comme type d'espaces verts. C'est ça un territoire en transition : un élu force de proposition et une appropriation par les habitants.
Propos recueillis par Lucie Romano le mardi 20 juillet 2021