Paris : le Conseil d'Etat rejette la notion de "dissonance" architecturale
Les étoiles de l'architecture contemporaine se réaligneraient-elles enfin à Paris ? Tandis que la Tour Triangle, revue par Unibail sous une forme plus ouverte au public - moins riche en bureaux - va repasser devant les élus lundi 29 juin, la Ville et LVMH remportent une autre bataille. Deux années les ont vu s'opposer, devant les tribunaux, aux associations SOS Paris et la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France, à qui le tribunal administratif et la cour d'appel avaient donné raison.
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Considérant par considérant, le Conseil d'Etat a invalidé les arguments qu'avaient retenus les cours précédentes. Avec, en sous-texte, une certaine vision de la ville... et du droit. Le Conseil d'Etat reproche ainsi au TA et à la cour d'appel de ne s'être prononcée que sur la base d'un fragment de l'article UG 11 du PLU de Paris, qui édicte le respect de la "tonalité générale" de la ville à base de calcaire et de plâtre... Et qui, surtout, contient cette phrase : "Les constructions nouvelles doivent s'intégrer au tissu existant, en prenant en compte les particularités morphologiques et typologiques des quartiers (rythmes verticaux, largeurs des parcelles en façade sur voies, reliefs...) ainsi que celles des façades existantes (rythmes, échelles, ornementations, matériaux, couleurs...) et des couvertures (toitures, terrasses, retraits...)".
Il suffisait de lire un peu plus loin...
Mais ce n'est pas tout ce que contient l'article UG 11. Le Conseil d'Etat rappelle que quelques phrases plus loin, le document admet "le recours à des matériaux et des mises en œuvre innovantes", et rappelle que l'objectif n'est pas "d'aboutir à un mimétisme architectural pouvant être qualifié esthétiquement de pastiche". "Ainsi l'architecture contemporaine peut prendre place dans l'histoire de l'architecture parisienne."
Le projet de SANAA, précise le Conseil d'Etat, est donc conforme au droit, sur la base "d'une interprétation plus ouverte de l’article UG 11 du PLU". Une décision "définitive" dont le groupe LVMH et Anne Hidalgo n'ont pas tardé à se féliciter... Avant le repassage, lundi prochain, de la Tour Triangle devant le Conseil de Paris. Hugo Christy
FAITS ET PROCEDURE :
Dans le cadre du projet de réaménagement de la Samaritaine, le maire de Paris a délivré, le 17 décembre 2012, à la société "Grands Magasins de la Samaritaine – Maison Ernest Cognacq", un permis de construire autorisant la restructuration de "l’îlot Rivoli", en particulier la réalisation d’une nouvelle façade en verre sérigraphié et ondulé donnant sur la rue de Rivoli.
L’association Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France et d’autres requérants, estimant notamment que ce projet méconnaissait les obligations du plan local d’urbanisme (PLU) de Paris relatives à l’insertion des constructions nouvelles dans le tissu urbain, ont attaqué le permis de construire devant le tribunal administratif de Paris.
Saisi en février 2013, le tribunal a annulé le permis par un jugement du 13 mai 2014. La cour administrative d’appel de Paris a confirmé cette annulation par un arrêt du 5 janvier 2015. La société "Grands Magasins de la Samaritaine – Maison Ernest Cognacq" et la ville de Paris se sont alors pourvues en cassation.
LA DECISION DU CONSEIL D'ETAT :
L’interprétation des règles de l’article UG 11 du PLU de la ville de Paris, relatives à l’aspect des constructions nouvelles, étaient au cœur du litige.
La cour avait retenu une interprétation restrictive de cet article, centrée sur l’exigence d’intégration des constructions nouvelles dans le tissu urbain existant. Selon elle, toute construction nouvelle doit prendre en compte les caractéristiques des façades et couvertures des bâtiments voisins, ainsi que celles du site dans lequel elle s’insère. Sur le fondement de cette interprétation, elle avait jugé que, compte tenu des caractéristiques de la façade en verre et de l’aspect des autres façades de la rue de Rivoli, le projet était contraire au PLU.
Le Conseil d’État a jugé qu’il fallait retenir une interprétation plus ouverte de l’article UG 11 du PLU. La cour n’a, en effet, pas assez tenu compte d’autres passages de cet article qui venaient tempérer l’exigence d’insertion dans le tissu urbain existant. Le Conseil d’État a ainsi constaté que cet article affichait lui-même le souci d’éviter le "mimétisme architectural", et qu’il autorisait dans une certaine mesure la délivrance de permis pour des projets d’architecture contemporaine pouvant s’écarter des "registres dominants" de l’architecture parisienne en matière d’apparence des bâtiments, et pouvant retenir des matériaux ou teintes "innovants".
C’est sur la base de cette interprétation que le Conseil d’État a jugé que le projet était conforme au droit. Il a souligné l’hétérogénéité stylistique des bâtiments de la partie de la rue de Rivoli dans laquelle se situe le projet, en relevant la présence d’édifices "Art Nouveau", "Art Déco", ou d’autres styles s’écartant du style haussmannien. Il a relevé que le verre était un matériau de façade utilisé pour d’autres édifices avoisinants. Le Conseil d’État a, enfin, constaté que la hauteur et l’ordonnancement du projet correspondaient à ceux des immeubles voisins. Dans ces conditions, il a estimé que le projet respectait l’article UG 11 du PLU. Il a par ailleurs jugé qu’aucune des autres critiques formulées par les requérants n’était fondée.
Le Conseil d’État a donc rejeté définitivement les recours en annulation introduits contre ce permis.