Philippe Yvin : La Société du Grand Paris sort de ses gares
Philippe Yvin - photo Thomas Gogny
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cadredevile. En intervenant sur les places autour des gares, la SGP reprend-elle son rôle d'aménageur que lui a attribué la loi ?
Philippe Yvin. Elle ne le reprend pas parce qu'elle ne l'a jamais abandonné. D'abord sous la forme des projets d'aménagement qui lui sont confiés, pour construire notamment du logement. Mais également, parce que la gare s'inscrit dans le paysage urbain, par opposition à la bouche de métro. Elle est donc le support de la structuration de l'espace urbain - c'est sa fonction proprement urbaine. Et puis il y a une dimension d'intermodalité et d'accès à la gare, où la plupart des gens arrivent à pied.
Il est ainsi notamment très important de penser les cheminements piétonniers pour l'accès à la gare. Et puis, la place des autres modes de transport : nous voulons résolument développer une politique de la mobilité numérique et électrique, qui sera celle du XXIe siècle.
Cela oblige à réfléchir à l'aménagement des espaces autour des gares pour que, demain, les voyageurs puissent passer avec la plus grande fluidité du métro au bus, à la voiture électrique ou au vélo - avec le même titre de transport qui sera dématérialisé.
Cette mobilité de demain impose de concevoir les espaces avec suffisamment de recul, de réflexion, de largeur d'esprit, pour intégrer tous ces éléments dans les projets d'aménagement des places de gares.
CDV. Vous apporterez un co-financement des études de conception des places de gares. Comment allez-vous vous y prendre ?
Ph. Y. Nous constituons des comités de pôle des gares du Grand Paris, en demandant à ceux qui seront vraisemblablement les aménageurs de l'espace public de piloter cette étude que nous finançons à hauteur de 100 000 euros par gare. Ce sont aussi bien des villes, des communautés d'agglomération, des établissements publics d'aménagement, quelquefois des départements. Nous voulons initier cette démarche, et la financer pour qu'on ne perde pas de temps à se demander qui va payer quoi.
Nous assumons ainsi notre responsabilité de maître d'ouvrage, de penser aussi à ce qui se passe en dehors de la gare. C'est une autre illustration de notre compétence d'aménageur. Nous l'assumons d'autant plus que nous voulons promouvoir ce nouveau modèle de déplacements en complément du métro. Donc, nous contribuons financièrement. Le cas échéant, sur le milliard et demi d'euros qui a été réservé pour les interconnexions et l'intermodalité, nous pourrons cofinancer des travaux d'aménagement. D'ailleurs, nous le faisons déjà. Par exemple aux Ardoines. Nous cofinançons le franchissement des voies ferrées pour accéder à la gare. De même, à Saint-Denis Pleyel, nous financerons au moins une passerelle vers le RER D - ou une partie du franchissement urbain porté par Plaine Commune, s'il trouve son financement.
Une gare porte de la métropole : Saint-Denis Pleyel - avant-après - extrait de "Places du Grand Paris" - cliquer pour agrandir
CDV. Les gares intègrent déjà des services liés à ce que vous appelez la mobilité du XXIe siècle. Vous voulez aller plus loin ?
Ph. Y. On y trouvera les équipements de base, notamment la consigne à vélos. Mais il faut aussi penser au voyageur qui va chercher un vélo en libre-service en arrivant à la gare, ou une voiture électrique pour faire les derniers kilomètres pour son prochain rendez-vous. Les usagers auront de moins en moins besoin d'un véhicule personnel pour effectuer des trajets dans l'agglomération parisienne. Si nous organisons bien les intermodalités, et que les déplacements sont plus faciles pour le voyageur, il pourra combiner les transports lourds - Transiliens, RER, tramways et métros - et, pour finir son trajet, vélo, bus ou véhicule électrique, de façon souple.
Dans les différents territoires de la métropole, aucun lieu ne sera à plus de deux kilomètres d'une gare. La question du dernier quart d'heure de transport devient donc importante. Les déplacements à vélo ou à pied se développent de plus en plus. Encore faut-il que les espaces publics autour des gares soient agréables, confortables, sécurisés, et donnent accès aux modes de déplacement complémentaires pour franchir cette dernière étape entre le domicile et la gare.
Les collectivités en sont conscientes. Nos échanges avec elles ont mis en évidence que certaines ont lancé des études, notamment sur la marche à pied, et la "marchabilité" des voies publiques, et pas seulement pour aborder les gares. .
CDV. Tout tourne donc autour de l'intégration des diverses modes de déplacement ?
Ph. Y. Pas tout-à-fait. Si nous avons appelé le document que nous publions "les places du Grand Paris", c'est parce que nous voulons créer de beaux espaces publics. Cela n'empêche pas des réussites qui combinent les deux aspects. A Sevran-Beaudottes, la nouvelle gare routière est associée à un bel espace devant la gare. C'est précurseur de ce trouveront demain les usagers autour des gares. Notre ambition est d'allier le fonctionnel et le beau. Y compris la nuit. L'éclairage est très important. C'est l'un des six principes que nous posons.
Une gare de centralité nouvelle : les Ardoines - avant, après - extrait de "Places du Grand Paris" - cliquer pour agrandir
CDV. Comment votre initiative est-elle reçue ?
Ph. Y. Elle est très bien reçue. Sur la soixantaine de sites concernés, le pilote du comité de pôle, pilote de l'étude, est déjà trouvé. Tout avance très vite. D'ici la fin de l'année nous devrions avoir installé tous les comités de pôle avec leur pilote. Le début des études pourrait venir vite sur la ligne 15 sud. Les départements des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne sont ainsi très motivés pour piloter des pôles en régie.
CDV. Comment cela s'articule-t-il avec les études lancées par le Stif sur la gare routière, ou par le conseil départemental du Val-de-Marne sur les rabattements de lignes ?
Ph. Y. Tout est en lien. D'abord nous faisons ce travail avec les opérateurs de transport. Le Stif fait un travail très important pour repenser tous les réseaux de bus autour des gares du Grand Paris, pour être le plus efficace. La RATP a son propre plan à l'horizon 2025, dans le même but. Il faut y ajouter la réflexion d'opérateurs privés comme Keolis ou Vinci sur les rabattements par autocar via les voies rapides. Nous pourrions prévoir un point d'entrée nord-est dans la métropole, par exemple, à la gare du Mesnil-Amelot, pour les territoires de l'Oise ou du nord de la Seine-et-Marne.
CDV. A quoi sert le "Guide" que vous publiez ?
Ph. Y. C'est un guide de recommandations. D'ailleurs nous n'aimons pas beaucoup le mot "Guide". Ce sont des "Repères", destinés à nourrir les travaux des comités de pôle, et à se nourrir de ces travaux.
Il pose les principes qui nous semblent devoir être retenus pour l'aménagement de ces espaces. C'est un peu un discours de la méthode. Il définit les futurs chapitres des études de pôles.
Nous allons vraiment transformer les territoires dans un rayon compris entre 200 et 800 mètres autour des gares. Les modalités seront différentes selon les quatre types de gares du Grand Paris identifiés : porte de la métropole comme Saint-Denis Pleyel, même si le TGV ne s'y arrête pas tout de suite, gare de centralité nouvelle comme aux Ardoines, gare emblématique comme à Clichy-Montfermeil, et gare de centre-ville existant, comme à Issy-RER. Les exemples-types proposent des cartes très fortes de la situation "avant" et "après".
Une gare emblématique et son quartier : Clichy-Montfermeil - avant, après - extrait de "Places du Grand Paris" - cliquer pour agrandir
CDV. Est-ce que les études de places ne viennent pas trop tard après la conception des gares elles-mêmes ?
Ph. Y. Les temporalités ne sont pas les mêmes. Pour les places nous avons encore un peu de temps, nous sommes très en amont, alors que, pour les gares elles-mêmes, le calendrier oblige à avancer plus vite. Les gares n'ont pas été "posées" sans concertation locale. Elles ont été réfléchies en tenant compte des réalités locales. La porte de la gare s'ouvre du côté où les collectivités nous ont dit que les flux les plus importants arrivaient. Les élus connaissent leur ville.
CDV. Est-ce que l'éventualité d'un report de la prise de compétence aménagement par la métropole du Grand Paris change quoi que ce soit pour la SGP ?
Ph. Y. Non, vraisemblablement pas. Nous allons poursuivre notre dialogue avec les maires. Certes, des aménagements importants, d'échelle métropolitaine, vont se révéler – aux Ardoines par exemple -, mais la plupart de ces grandes opérations sont déjà identifiées, autour des gares du Grand Paris. A notre échelle des quartiers de gare, dans les années qui arrivent, cette compétence métropolitaine ne va pas beaucoup changer les choses.
Parfois, certaines communes ont du mal à faire toutes seules. Les établissements publics territoriaux vont se mettre en place et les aideront.Aujourd'hui, quand il y a une communauté d'agglomération, une dynamique se met en place. Ainsi, Plaine commune sera pilote des comités de pôle sur tout son territoire. Demain, les EPT de la métropole peuvent jouer ce rôle et aider les territoires qui ont moins de moyens techniques.
Pour nous, plus que la question de la stratégie qui sera une prérogative de la métropole, la question est celle de la mise en œuvre. Et nous avons l'impression que l'initiative que nous prenons pour faire aménager les places des gares suscite un mouvement de mutations urbaines provoqué par le projet de métro. Les gares, nos projets connexes, les places, sont des pièces du puzzle qui se met en place et l’on voit là à quel point les quartiers de gares du Grand Paris Express incarnent la polycentralité dont on a beaucoup parlé à propos de la métropole. Propos recueillis par Rémi Cambau
Une gare de centre-ville existant : Issy RER - avant, après - extrait de "Places du Grand Paris" - cliquer pour agrandir
L'ouvrage de 65 pages est le fruit d'un an de travail de terrain, sous la coordination de Bernard Landau, architecte voyer honoraire de la Ville de Paris. Maquette Juliette Weissbuch/Polymago