A l'usage unique de
"Au Cnoa, nous proposons de maintenir l’usage des règles de la commande publique, comme le concours d’architecture, qui permettent de concevoir le meilleur habitat. Nous militons pour que la rénovation ne soit plus seulement 'énergétique' mais qu’elle intègre une approche holistique du projet qui intègre tous les paramètres du confort d’usage", explique Denis Dessus, le président du Conseil national. Lequel est aussi engagé dans le groupe de travail sur la qualité d'usage et la qualité architecturale des logements sociaux présidé par Pierre-René Lemas, qui rendra ses conclusions dans quelques semaines.
Cette édition des Entretiens a pour thème "Et maintenant nos villes sobres, agiles et résilientes". Le diagnostic sur les nécessaires atténuation et adaptation du changement climatique, sur la lutte contre l’étalement urbain, etc, sont connus, mais comment passe-t-on aux solutions ? Comment le Cnoa accompagne-t-il ce mouvement ?
L’Ordre des architectes, qui plaide en faveur d’un urbanisme durable depuis de nombreuses années, a fait de la transition écologique l’axe principal de ses actions de communication et de sensibilisation. Il s’agit pour les architectes d’un enjeu considérable et ils sont collectivement désireux de donner une dimension ambitieuse à leurs engagements et pratiques pour réparer la ville, la rendre plus sobre, plus résiliente, plus douce et inclusive.
Pour accompagner ce mouvement, le Cnoa a créé en mars 2019 une plateforme numérique dédiée à la transition écologique. Ce centre de ressources parrainé par Jean Jouzel [climatologue et glaciologue] constitue un outil d’information à destination des architectes et des étudiants, des maîtres d’ouvrage, du grand public, etc. sur toutes les thématiques en lien avec l’architecture, l’urbanisme et l’aménagement durable. Cette plateforme rassemble des études, des expérimentations, des bonnes pratiques, par exemple pour valoriser des solutions pertinentes pour les bâtiments et aménagements ou pour promouvoir l’utilisation de ressources et d’énergies locales.
Nous avons aussi publié, à l’occasion des élections municipales de 2020, un guide à l’attention des équipes municipales intitulé : "Maires et architectes, 10 clés pour réussir la transition écologique". Ce guide est destiné aux élus des villes petites et moyennes qui ne disposent pas d’ingénierie en interne, pour les aider à répondre concrètement aux défis de la transition écologique.
Nous avons enfin initié la rédaction d'un "livre blanc 2.0", voulu comme une université permanente de l’architecture et du cadre de vie. Tous les acteurs, architectes, urbanistes, associations, universitaires, politiques, administrations, sont invités y contribuer. Il sera lancé le 9 octobre, prochain sur www.architectes.org et s’intéresse bien sûr aux questions de transition écologique. A l’occasion de son lancement nous organisons, toujours le 9 octobre, une rencontre au Sénat avec des parlementaires, des architectes et des élus locaux sur le thème "Habiter, aménager, quelles nouvelles solutions".
Le Cnoa a également fourni des contributions au gouvernement et au Parlement, par exemple dans le cadre du Plan de relance, auprès de l’ANCT pour accélérer les projets de reconversion des friches, auprès d’Emmanuelle Wargon, dans le cadre de la mission Lagleize sur la maîtrise du foncier ou du CNH.
En écho avec le programme des Entretiens, quel regard portez-vous sur la sobriété foncière, la ville nourricière, la ville productive, la mise en usage ? Pouvez-vous citer des exemples de ce qu’ont pu imaginer des architectes autour de ces défis ?
En matière de sobriété foncière, nous insistons tout particulièrement sur la nécessaire amplification de la rénovation des bâtiments en rappelant systématiquement que la rénovation ne saurait être qu’énergétique. Elle englobe également l’amélioration de la fonctionnalité, le confort et la valeur patrimoniale du bâtiment. Nous visons aussi la réhabilitation des friches et délaissés urbains, l’optimisation des bâtiments existants en diversifiant et mutualisant les usages, la reconquête des entrées de ville. Et nous encourageons enfin les opérations greffes au sein des bourgs et villages en autorisant la mise en œuvre de lotissements multi-sites et en facilitant la combinaison de fonctions (habitat, commerces, services…).
En matière de ville nourricière, nous appelons notamment à instaurer une autonomie alimentaire des territoires via les circuits courts mais aussi à développer une agriculture urbaine et un élevage compatible avec l’architecture (serres en toitures etc.). Nous plaidons pour le développement de l’agriculture vivrière dans les centres-villes et dans le périurbain pour relocaliser une partie de la production. Nous souhaitons aussi que les agriculteurs puissent être accompagnés dans la mise en œuvre de leurs locaux professionnels pour qu’ils s’insèrent dans les paysages, qu’ils reconstituent des centralités de vie et des micro-systèmes économiques/pôles d’artisanat, développement de filières locales.. Un exemple dans ce domaine : dans le cadre du Projet alimentaire territorial (PAT) issu du partenariat entre la métropole de Clermont-Ferrand, le PNR Livradois-Forez et l’Ensa-CF, les étudiants ont développé des projets sur 14 territoires métropolitains.
Pour la ville productive, nous proposons notamment de promouvoir la création de nouvelles activités économiques et de nouveaux services et d’utiliser des chartes qualité pour stimuler les filières locales. Par exemple, la prescription d’un haut niveau de qualité architecturale peut avoir un effet de levier sur le territoire pour développer un savoir-faire artisanal ou industriel. Avec [le collectif] "Région Architecture" par exemple, les acteurs de la filière architecture du Grand Est interviennent ensemble dans la définition des projets urbains, et cela favorise l’émergence de filières innovantes en faveur du développement économique, de l’attractivité et de la transition du territoire.
Quelle vision avez-vous de la mise en usage ?
La mise en usage, enfin appelle à favoriser l’expérimentation (éco-conception, innovation et qualité architecturale, initiatives d’habitat participatif) et l’utilisation d’occupation temporaire pour vérifier si les usages réels correspondent aux usages attendus. Cela sous-entend aussi de prévoir un fonctionnement itératif des projets avec l’équipe de maîtrise d’œuvre et pour les entreprises de ménager suffisamment de souplesse pour s’adapter aux imprévus, de concerter les habitants, de profiter des opportunités foncières, etc. Plusieurs bonnes pratiques existent dans ce domaine. Par exemple, les étudiants de l’Ensa Grenoble ont réalisé, en concertation avec les habitants, un prototype échelle 1 d'un futur logement social : un logement "démonstrateur" ("Firminy Re-Generation") a été mis à disposition des habitants pour y développer les usages qui leur conviennent (cuisine, salle de sports, etc.). Ou encore, le collectif d’architectes ETC a été missionné par une association d’habitants pour aménager temporairement une place publique, dans le but de proposer et tester de nouveaux usages. L’aménagement a pris la forme un chantier participatif et modulable.
On parle aussi beaucoup de logement abordable. Comment avancer sur ce point ? Qu’est devenu le groupe de travail sur la qualité d'usage et la qualité architecturale des logements sociaux présidé par Pierre-René Lemas ?
Je suis membre du groupe de travail présidé par Pierre-René Lemas. Dans le cadre du Plan de relance, nous avons été invités à faire des propositions opérationnelles à partir d’enseignements à tirer post-crise. Les propositions du groupe de travail, dont les travaux se terminent le 28 septembre, seront remises par Pierre-René Lemas au gouvernement courant octobre.
Au Cnoa, nous proposons de maintenir l’usage des règles de la commande publique, comme le concours d’architecture, qui permettent de concevoir le meilleur habitat. Nous militons pour que la rénovation ne soit plus seulement "énergétique" mais qu’elle intègre une approche holistique du projet qui intègre tous les paramètres du confort d’usage (fonctionnalité, santé, confort thermique et acoustique). Nous voulons que le logement soit pensé dans son contexte urbain, sociologique et écologique, pour un aménagement raisonné, intégrant la flexibilité des usages dans le temps.
Dans quelle direction, dans le contexte sanitaire, les architectes doivent-ils réinventer la suite, aux côtés des collectivités, du secteur privé, des citoyens et de l’Etat ?
Outre les propositions que nous faisons pour la qualité du logement, pour relancer l’activité et réinventer la suite dans les meilleures conditions au bénéfice des citoyens, il nous parait nécessaire de simplifier les procédures d’autorisation d’urbanisme et d'encourager leur dématérialisation. Nous appelons aussi depuis longtemps à mettre en place un permis déclaratif pour les opérations où le recours à l’architecte n’est pas obligatoire (en dessous des seuils). Cette procédure permettrait au pétitionnaire qui a fait appel à un architecte d’obtenir un permis de construire dans des délais plus courts, l’autorisation étant acquise après constat de la complétude administrative du dossier, sans nécessiter d’instruction. Il faudrait également permettre de pré-instruire les permis d’aménager en amont du dépôt par les services instructeurs et imposer le permis de construire au lieu d’une simple déclaration préalable pour les travaux de modifications de grandes surfaces commerciales ou artisanales. Cela permettrait d’établir des objectifs environnementaux et de les obtenir (perméabilité des sols, biodiversité…). Enfin, il faut mobiliser le plus en amont possible l’expertise d’équipes pluridisciplinaires compétentes (architectes, urbanistes, paysagistes, écologues, etc.) et associer les habitants pour coconstruire les projets.
Quels sont les grands axes de travail pour le Cnoa pour la suite ?
Les budgets du plan de relance en direction de la rénovation des bâtiments publics mais aussi du logement social devraient permettre de booster le marché de la rénovation. Cela ne nous empêche pas d’en souligner les faiblesses et de proposer des pistes d’amélioration. Nous regrettons le financement par la Caisse des dépôts de l’achat de 40 000 logements en Vefa sans dispositif qualitatif d’encadrement de cette production. Nous réclamons la mise en place d’un diagnostic architectural sur l’ensemble des bâtiments publics, permettant une programmation des travaux de rénovation pertinente pour adapter les services publics aux nouveaux modes de travail, au risque épidémique et cela en améliorant leur bilan environnemental. Nous trouvons en effet que le plan de relance, pour l’instant, ne prend pas assez en compte les problématiques de biodiversité, de santé publique (qui ne sont pas traitées au niveau architectural et urbanistique dans le Ségur de la santé) pour rester toujours sur le seul sujet de l’énergie.
Plus largement, le Cnoa travaille en concertation avec les administrations et les différents acteurs de la filière à travers le Plan Bâtiment durable, l’Ademe, le programme Profeel, le CSCEE, mais aussi le Plan 2022 sur tous les sujets du numérique.
Le Cnoa est aussi partie prenante de la concertation de la future RE2020. Nous appelons sur ce point à la mise en œuvre de mesures fortes destinées à garantir aux usagers, dans les années à venir, le confort d’été. Dans un contexte de réchauffement climatique et d’étés caniculaires qui vont devenir la norme, architecture et urbanisme doivent être les moteurs de l’adaptation de nos villes et territoires au changement climatique et aux conséquences de l’anthropocène.
Propos recueillis le 22 septembre 2020