A l'usage unique de
"Cependant que les villes moyennes tirent leur épingle du jeu, on peut parler globalement de nouveaux équilibres entre ventes en bloc et au détail, et de l'émergence de nouveaux segments", pour Laurent Escobar, directeur associé d'Adequation.
Alors qu'une cinquantaine de villes moyennes échappent, grâce à une dynamique Action Coeur de Ville déjà visible dans les chiffres, à la pénurie de l'offre de logement neuf qui caractérise le Grand Paris et le Grand Lyon, pénurie qui menace Bordeaux ou Montpellier (lire le détail plus bas), Laurent Escobar, directeur associé d'Adequation, explique à Cadre de Ville où se concentrent les points de tension du marché et leurs composantes.
Laurent Escobar alerte : "Nous venons de publier les chiffres de l'offre disponible, qui révèlent une pénurie majeure en Île-de-France, et marquée de façon très variée en province. Mais il faut rester modeste. Nous commençons tout juste à distinguer les premiers signes qui pourraient traduire des éléments positifs et négatifs - beaucoup de choses vont se clarifier d'ici la fin de l'année." Déjà, en effet, dire qu'on atteindra 85 000 ventes au détail France entière préjuge de mises en vente et de ventes sur lesquelles on a très peu d'indications. Et le retour partiel en confinement amène de nouvelles incertitudes. D'après les promoteurs sondés par Cadre de Ville, les opérations en commercialisation connaissent d'importants taux de désistement, notamment d'acquéreurs qui n'obtiennent pas leur prêt bancaire.
Inconnue : combien de projets nouveaux vont pouvoir sortir à courte échéance en vente au détail ? D'autant que les ventes en bloc apportent un surcroît d'incertitude. "Habituellement, commente l'expert du logement, on sait ce qui va partir en vente au détail ou vente en bloc. C'est presque normé - le PLU impose des ventes en bloc, par exemple. Mais cette année est marquée par une forte incertitude, avec ces acquisitions en bloc de formats et de volumes très importants focalisés sur la région capitale. La prévision reste aléatoire."
Mises en vente Île-de-France - source Adequation
Pour Laurent Escobar, un regard en arrière permet de mettre en évidence le phénomène qui marque l'année 2020.
Pour les promoteurs immobiliers, les trois années de 2017 à 2019 ont été stables en volume de ventes au détail de logements neufs. Dans le même temps, les ventes en bloc par les promoteurs aux organismes HLM, qui ont représenté 56% des logements sociaux (LLS) mis en chantier en 2019, se tassent depuis 2018, avec la fin de l’Anru 1 et les baisses des revenus locatifs des bailleurs sociaux consécutives à la RLS (réduction de loyer de solidarité) imposée en 2018 et pour trois ans par la loi Elan.
Ainsi, on passe de 43 800 ventes en bloc sociales en 2017, à 34 500 en 2019, relève Adequation.
En revanche, les ventes en bloc de logements intermédiaires (LLI), autorisées par la loi Alur en 2014, n’ont cessé de progresser pour atteindre plus de 15 700 logements en 2019.
L'effet contra-cyclique des 50 000 ventes en bloc à CDC Habitat et In'Li
Pour Laurent Escobar, "le lien de dépendance entre production de logements libres et production de logements sociaux, depuis 2009 et le plan de relance du gouvernement qui avait généralisé le système des ventes en bloc, a rendu moins possibles les mouvements de compensation. Quand l'un baisse, ça impacte l'autre. Les effets contra-cycliques sont moins possibles au niveau de la production."
A l'inverse, pour le directeur d'Adequation, ce qui est contra-cyclique, c'est le plan d'achat en bloc de Caisse des dépôts Habitat et d'In'Li. Car les 50 000 achats en bloc ont trouvé leurs projets. Et, même si la masse concernée est telle que toutes les ventes seront difficilement régularisées d'ici la fin de l'année, les 50 000 logements sont bien passés en comités d'engagement. Les promoteurs en avaient proposé beaucoup plus, et ces grands acteurs pourraient peut-être prolonger leur action contra-cyclique en 2021, selon plusieurs sources.
Les chiffres de l’année 2020 sont, de fait, exceptionnels : ils voient une baisse probable d’un tiers des ventes au détail et en résidences services, compensée par les plans exceptionnels d’acquisitions lancés en avril 2020 : principalement 40 000 logements par CDC Habitat (15 000 LLS, 10 000 LLI et 15 000 logements libres, partout en France) et 10 000 LLI par In’Li en Île-de-France.
A noter que les adhérents de la FPI ne captent pas l’intégralité des ventes en bloc et des résidences services. Environ 25 000 logements sont réalisés par des opérateurs tiers, des opérateurs spécialisés dans la vente en bloc comme Domitys, Egide ou Alila à Lyon, qui produit 7 000 à 8 000 logements par an. Ils sont inclus dans les chiffres d'Adequation.
Les ventes totales des opérateurs privés sur le segment du résidentiel devraient baisser en 2020, de l’ordre de 20 000 logements. En 2021, la reprise partielle de l’activité de vente au détail et des résidences services et le retour à la normale des marchés de la vente en bloc laissent envisager un volume global en diminution, à 160 000 logements, au lieu de 190 000 sur la période 2017-2018. A l’intérieur de ce volume, on voit la part de marché des résidences services et des blocs en locatif libre et intermédiaire croître régulièrement.
En un an à fin septembre 2020, 43 000 logements manquent par rapport à septembre 2019. Sur douze mois, le ministère n'en compte que 393 300.
Selon les chiffres de la construction à fin septembre, publiés ce 28 septembre par le ministère, les autorisations de logements connaissent un redressement "progressif", mais n’ont pas encore rejoint leur niveau de la période précédant le confinement au 3e trimestre (-22% par rapport aux trois mois de décembre 2019 à février 2020 en données CVS-CJO, et -17% par rapport à la moyenne des 12 mois précédant le confinement). En particulier, les autorisations de logements collectifs ou en résidence sont restées en retrait de 30% par rapport aux trois mois précédant le confinement et de 23% par rapport à la moyenne des douze mois précédents.
Sur l’ensemble du 3e trimestre 2020, les autorisations ont rebondi de 43,6% par rapport au 2e trimestre, où elles avaient chuté de 42,7% par rapport aux trois mois précédents en données CVS-CJO.
> Consulter la note complète StatInfo n°313 consacrée aux chiffres du logement
> Consulter la note complète StatInfo n°312 consacrée aux chiffres de la construction de locaux
Répartition géographique : la percée contra-cyclique des villes moyennes
L'Île-de-France représente 35 à 40% du volume de logements vendus étudiés par Adequation, et les métropoles régionales 50 à 55%. Les villes moyennes pèsent 5 à 10%. C'est une première. Dans une cinquantaine de villes moyennes, en accompagnement d'Action Cœur de Ville, pour faire du locatif abordable contractualisé (du libre en fait), en plus de l'intermédiaire, la production pourrait atteindre 8 000 ou 10 000 ventes cette année, contre 6 000 logements de promoteurs vendus habituellement en moyenne.
Dans un contexte où la production de vente au détail se rétracte en France, il est en train de se révéler possible que les villes moyennes jouent un rôle contra-cyclique.
Elles progressent peu en volume au niveau national. Sur 85 000 ventes au détail, elles affichent une progression faciale de 50%, mais un doublement de leur part de marché, à contre cycle des métropoles.
Comment ce phénomène peut-il perdurer ? "Le Covid donne peut-être un intérêt pour le retour en ville moyenne, et dans les chiffres cela se vérifie un peu", pense Laurent Escobar, qui poursuit : "Avant qu'il y ait une orientation de la demande vers ces villes, il y a de façon certaine une demande pour des appartements. Mais l'offre est faible, et donc les ventes. L'offre nouvelle produite trouve donc preneur. Les 6 000 ventes de l'ensemble de la'nnée 2019 sont déjà faites fin septembre 2020."
Quarante-cinq villes moyennes, alternatives aux métropoles - en orange, 32 agglomérations offrant peu de collectif neuf, mais priorisées par les institutionnels - en bleu, 13 agglomérations au marché du collectif neuf actif, pas encore investies par les institutionnels - carte Adequation
Quand les promoteurs travaillent en dehors des métropoles
Pour Adequation, une conjonction de facteurs concourt à ce phénomène naissant - 8 000 logements divisé par 50 villes, c'est encore peu, mais "le contexte actuel amène les opérateurs à travailler un peu en dehors des métropoles. C'était déjà engagé en 2019 et au moment du ralentissement des permis de construire dans les métropoles. Le Covid est un accélérateur, un catalyseur, mais les sous-jacents étaient là."
En avril 2020, André Yché, président de CDC Habitat, avait communiqué sur la priorité donnée aux villes moyennes - ce qu'il n'aurait pas fait hors Covid. L'impact a été immédiat, et a créé l'opportunité d'en faire un peu plus. Sur 222 communes éligibles à Action Cœur de Ville, une petite cinquantaine voient leur marché du logement fonctionner. Dans une trentaine, CDC Habitat a pris des positions et entraîné les promoteurs.
"On voit ainsi un regain de prises de position et de lancement de projets dans des villes moyennes. Dans une trentaine, où la filiale de la Caisse des Dépôts ne pratiquait pas l'achat en bloc jusqu'alors, son arrivée lance des opérations mixtes, avec des logements libres, là où il n'y en avait pas depuis longtemps", commente Adequation.
"C'est génial de voir le marché décoller à Limoges ou Dreux", sourit Laurent Escobar. "L'action des bailleurs n'y est pas étrangère. Les promoteurs sont poussés par Action Cœur de Ville et par les prises de position pour ventes en bloc. A Mulhouse, l'augmentation du volume de vente au détail, est en partie soutenue par les achats en bloc de CDC Habitat - les projets ne seraient pas sortis cette année sans cette sécurisation, et c'est la première fois que CDC Habitat acquiert à Mulhouse... Du coup, alors que la commercialisation dépasse rarement 150 logements l'an, on serait à 250 unités vendues en 2020."
En Île-de-France, 6 à 7 mois de stock sur un rythme ralenti
"Cependant, poursuit le directeur d'Adequation, on ne connaît pas le vrai niveau de demande régulière dans ces communes. On peut juste dire qu'on est sur une pente ascendante."
Inversement, l'effet "vente en bloc" crée une tension dans les métropoles. "En Île-de-France, il reste disponible à vente environ 15 000 logements, dans un marché qui en a vendu 36 500 l'an dernier. Et 15 000 étaient déjà été vendus fin septembre. Au rythme de 2019, c'est 5 mois de stock, mais, aux rythmes de 2020, on doit avoir 6 ou 7 mois de stocks", selon Laurent Escobar.
Offre disponible en Île-de-France - source Adequation
Offre disponible en province - source Adequation
"Sur l'avenir, si on regarde les mises en vente court terme, on voit un impact asséchant des ventes en bloc, et des délais de mise en place des nouvelles équipes municipales", selon lui. Ainsi, le niveau de mises en vente en Île-de-France ont été de
900 logements seulement au mois de septembre. En 2019, ce même mois, 2 900 logements avaient été mis en vente.
Septembre affiche donc un -70% par rapport à l'année dernière. Pendant le confinement, de mars à mai, on était à -72%. Les mises en vente ont remonté au mois de juin, mais toujours à -47%, puis les marchés ont connu un sentiment de reprise et un effet de rattrapage avec juillet et août au niveau de 2019, avant un coup d'arrêt en septembre.
Une autre métropole vit la même situation que l'Île-de-France, c'est Lyon. On y compte 230 mises en vente en septembre, contre 640 en septembre 2019, soit -65%. Il reste 2 600 logements mis en vente contre 5 000 en 2019 à la même période à Lyon Métropole. Ont été vendus 2 000 logements sur neuf mois. Il reste entre 6 et 9 mois de commercialisation.
Les prix augmentent à la mesure de la tension du marché
Le prix moyen de l'agglomération de Lyon était fin 2019 de 5 130 euros/m² en accession vente au détail, parking inclus. On est aujourd'hui à 5 450 euros, soit +300 euros en neuf mois.
En Île-de-France on est à 5 700 euros/m² fin 2019, et 6 000 euros en septembre 2020. La métropole de Lyon se rapproche ainsi du prix moyen en Île-de-France. "En terme de marchés", commente Laurent Escobar, "c'est le 13e EPT de la Métropole du Grand Paris".
A Lille, les prix sont de 3 800 euros/m² fin septembre, et on n'est pas soumis aux mêmes tensions sur l'offre. Mais Bordeaux, est dans le wagon juste derrière Lyon. Les prix sont à 4 500 euros/m² en moyenne dans Bordeaux Métropole dans le neuf, et dans celle de Montpellier de 4 580 euros/m².
Ces deux agglomérations pourraient tomber dans le même niveau de pénurie que Paris et Lyon, mais on compte plutôt trois mois de plus de stocks. Des stocks qui, en fonction des ventes en bloc, pourraient s'épuiser.
"Rennes, Lille, Strasbourg, sont un peu à l'abri de ces risques de tensions - en tout cas plus à l'abri que les autres", complète Laurent Escobar, pour qui "Nantes est un peu tangent. Va-t-on voir la pénurie se généraliser à l'ensemble des métropoles, ou se limiter à quelques métropoles ? Mais bien malin qui peut le dire..."
Rémi Cambau