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25 mai 2021

La 17e Biennale de Venise : vivre ensemble sur une seule terre qu'il va falloir partager

Après un an de pandémie mondiale, la réponse à la question essentielle "comment vivrons-nous ensemble ?" interroge l'architecture comme toutes les autres disciplines. Réponse de l'ensemble des contributeurs exposants, et des commissaires de la 17e Biennale d'architecture de Venise, aussi incertaine que la question est vaste : sur une seule terre qu'il va falloir mieux partager. Marquant, parmi les nombreuses propositions qui tentent de répondre à la question posée par Hashim Sarkis, commissaire, en résonance parfaite avec la crise sanitaire, Reinier de Graaf pour l’agence OMA propose, à l’Arsenal, un court-métrage sur "L'hôpital du futur".

Une clairière pour parler... Installation de l'architecte chilien Alejandro Aravena--agence Elemental - photo CS

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Après plus d'un an d'isolement, à divers degrés, de tous, et partout dans le monde, la 17ème édition de la biennale d'architecture de Venise, signée par l'architecte libanais Hashim Sarkis, a le goût de retrouvailles teintées d'une vague menace. Cette pandémie en annonce peut-être d'autres, il est donc urgent de se mettre au travail. Le thème "Comment vivrons-nous ensemble ?" a été fixé à la fin de l'année 2018, autant dire il y a un siècle. Quelques mois et une pandémie plus tard, le mot "mieux" peut-être sous-jacent dans cette interrogation a disparu. Le monde a changé, il s'agit de survivre et la question n'a plus rien de théorique.

Comment vivrons-nous ensemble ? En partageant davantage, des ressource limitées, dont l'espace, avec les autres espèces ; en meilleure intelligence ; en tenant compte du passé pour construire l'avenir ; en s'inspirant, en imitant, en se respectant, en s'écoutant... Autant de manifestes déjà entendus, qui se perdent en route lorsqu'il s'agit de construire des bâtiments et des villes. Difficile de savoir à l'avance si l'urgence rendra ces messages plus audibles.

Un brassage qui peut désorienter 

Après "Des nouvelles du Front" en 2016, "Socles ou lieux communs" (selon les traductions) en 2018, cette édition 2021, parfois encore en montage pour raison de déconfinement récent, poursuit le dé-zoomage vers un mélange de disciplines, de la sociologie politique à l'art contemporain, en passant désormais par la microbiologie et le génie climatique.
Ce brassage devrait ravir les architectes soucieux de changer le monde. Il semble avoir eu, au contraire, comme résultat d'en désorienter plus d'un. Voire de les décevoir. Pas facile en effet de traduire ces excellentes et généreuses intentions par des installations directement "architecturées", dès lors que bâtir et édifier revient souvent à dresser des murs. Ils protègent, mais aussi séparent, alors qu'il s'agirait plutôt ici de les abattre pour rendre l'espace plus vivable.

La Terre comme architecture -installation de l'agence Trévelo et Viger-Kohler (TVK) - photo Laurian Ghinitoiu

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Les œuvres uniques, hautes de quelques centimètres, comme les dispositifs occupant parfois toute une pièce et dans lesquels on peut se glisser, se succèdent dans le long bâtiment de l'Arsenal. C'est là que traditionnellement, le commissaire accueille ses hôtes. Cette fois, 116 installations venues des 4 coins de la planète, de stars et d'anonymes parmi lesquelles chacun peut tracer son chemin. Ici, une nappe fabriquée à l'aide de 4 chemises oblige à une grande proximité avec qui l'on prend son café (Eye level and transparent conversation, 1991), là, une structure autoporteuse en fibre de carbone et de verre annonce les formes à venir (the Institute for Computational Design and Construction and the Institute of Building Structures and Structural Design, Stuttgart University); pas très loin, une histoire de l'hôpital par Reinier de Graaf (OMA) est projetée devant des lits articulés, équipés de perfusions, où chacun peut choisir de se sentir malade ou mieux portant, à l'image de cette institution (lire l'encadré ci-dessous).

Anachronique ou teinté d'humour noir - ce qui n'est pourtant pas la spécialité de ses promoteurs, les architectes de Skidmore, Owing &Merill et l'agence spatiale européenne -, un village lunaire prend prétexte d'étudier la vie en conditions extrêmes, ou suggère plus cyniquement qu'après le pillage de la terre, la fuite vers des cieux plus nourriciers serait de bon aloi.

A l'extérieur de la Corderie, l'agence chilienne Elemental, a aidé à faire atterrir à Venise "un lieu pour Parley", poétique et efficace clairière de pieux de bois, au sein de laquelle l'équidistance au centre gomme la hiérarchie des positions et rend le dialogue  possible. Celui-là a servi à une communauté Mapuche opposée à une entreprise forestière.

Le pavillon allemand : QR codes et miroirs au sol - photo CS

17e Biennale de Venise pavillon allemand

La visite se poursuit dans les Giardini, merveilleux parc au bord de la lagune. A l'entrée du pavillon international, un bloc de matière creusé et colorié par l'agence française TVK raconte via les émergences du sol, là où elles sont encouragées et là où elles sont contrariées, qu'il y a toujours quelque chose avant.  La terre est donc une architecture,  dont un tout petit charançon  peut bouleverser l'équilibre économique puis politique en s'attaquant aux pieds de coton. Qui veut y voir une parabole...   Dans les pavillons nationaux, petites folies architecturales qui s'admirent même inoccupées, les stratégies sont toujours variées, cette année encore davantage, puisqu'une partie du monde est absente. Les Australiens et les Canadiens n'ont pas fait le voyage et exposent en version numérique.  Les Allemands ne sont guère plus présents, puisque leur pavillon, baptisé "2038" (Bundesministerium des Innern, für Bau und Heimat) est vide à l'exception de QR codes et de miroirs au sol qui renvoient chacun à soi-même, à sa posture de smartphoneur et peut-être à la manière dont nous vivrons ensemble : la tête courbée, nos mains serrées autour de l'objet sacré pointé devant soi, comm e une baguette de sourcier.

Pavillon américain, hommage au bois - photo CS

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Dans ces lieux où le public passe rarement plus de cinq minutes, la meilleure façon de lui parler est de ne pas trop en dire et d'aller droit au but. Une fois n'est pas coutume, et peut-être par manque de temps, le pavillon américain d'habitude plus bavard a touché sa cible avec quelques maquettes et une nouvelle façade visitable, en bois. "American Framing" (Paul Andersen and Paul Preissner, University of Chicago) évoque élégamment ce savoir-faire ancestral qu'utilise 90% de la construction individuelle, qui permet de bâtir petit et grand, des maisons privées comme des espaces publics, des formes simples ou sophistiquées, d'utiliser cette matière simple dans des mises en œuvre complexes.

Avec plus de nostalgie, le Japon (Kadowaki Kozo) présente une maison en pièces détachées qui raconte à la fois l'histoire de son propriétaire décédé, l'évolution des matériaux et des modes constructifs tout en imaginant que ces morceaux pourraient à nouveau servir, et regermer sur une autre terre. Le pavillon israélien enfin, "pays du lait et du miel" (collectif Dan Hasson, Iddo Ginat, Rachel Gottesman, Yonatan Cohen and Tamar Novick) résiste et assène, comme toujours, un bon uppercut. Cette fois, la métaphore est agricole et raconte les désastres infligés à ce pays par une volonté politique inflexible de contrôler la présence de telle ou telle espèce, le nombre de vaches ou de chèvres, la production de lait, l'insémination des abeilles...

Aux architectes qui revendiquent souvent d'être à la croisée des chemins politiques, historiques et esthétiques, à ceux  qui se définissent souvent comme les chefs d'orchestre du processus créatif d'espaces dessinés pour une vie meilleure, Hashim Sarkis offre une multitude de partitions,  des instruments, pas mal de modèles de mélodies, pas toutes classiques. Qu'ils se servent !
Catherine Sabbah

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"L'hôpital du futur" : qu'est devenu notre idéal de santé ? Un court-métrage de Reinier de Graaf pour l’agence OMA

Pourquoi l'hôpital que nous avons connu est-il mort ? La démonstration, par OMA, des ressources nécessaires pour ouvrir un seul lit d'hôpital est effarante. "L'hôpital de demain sera un lieu où l'on ne va jamais, flexible", dit l'agence. Parmi les nombreuses propositions qui tentent de répondre à la question posée par Hashim Sarkis, commissaire de la 17ᵉ Biennale d'architecture de Venise, "Comment vivrons-nous ensemble ?", et en résonance parfaite avec la crise sanitaire, Reinier de Graaf pour l’agence OMA propose, à l’Arsenal, un court-métrage sur "L'hôpital du futur".
Annoncé comme l'âge de la bonne santé, le XXIᵉ siècle a vu le retour des épidémies mortelles semblant appartenir au passé. L'allongement de la vie et la bonne santé n'ont pour autant jamais signifié la fin des soins sanitaires. Plus nous vieillissions, plus nous avions besoin de soins. Alors que le coût des services médicaux monte en flèche, l’offre de soins de santé est de plus en plus concédée à l'économie de marché. Notre santé semble être devenue une responsabilité individuelle, le résultat de la façon dont (sainement) nous avons choisi de conduire nos vies.
 En ces temps exceptionnels, les limites de cette logique sont mises à nu. À la merci d'un système qui a rarement le temps de regarder vers l'avenir, l'hôpital succombe sous des budgets serrés, de pesantes contraintes administratives, une pénurie de fournitures médicales, de personnel et, finalement, d'espace.
Quel est l'avenir de l'hôpital ? La technologie peut-elle le sauver ? Son architecture peut-elle s'adapter aux nouvelles perturbations que l'avenir pourrait avoir en réserve ? 
Reinier de Graaf indique : "Lorsque nous avons été invités à participer à cette édition de la Biennale de Venise à l'été 2019, peu auraient pu imaginer le rôle que l'hôpital allait jouer dans la façon dont nous vivrons ensemble. Pendant ce temps, l'institution s'est avérée essentielle pour reconquérir un mode de vie que nous tenions autrefois pour acquis. Le moment est venu de placer l'hôpital au premier plan du débat architectural."
Le film l'hôpital du Futur, 12', qui contient de nombreuses données chiffrées, est présenté à l'Arsenal, au bout de la Corderie, dans un décor aux rideaux d'hôpital plus grands que nature et aux lits d'hôpitaux de campagne acquis de l'armée italienne. Des personnages en taille réelle inspirés du Modulor Man de Le Corbusier représentent des patients souffrant d'afflictions communes contemporaines, remettant en question la notion de standard de santé idéal.
Il fait partie d'un projet de recherche sur l'avenir des soins de santé initié par OMA en 2019.
L.B.