A l'usage unique de
La question du genre est largement documentée mais reste difficile à à faire atterrir dans les projets d'aménagement, des espaces publics en passant par la sphère intime de l'habitat privé. Des collectivités se sont lancées depuis plusieurs années - Villiers-le-Bel, Paris, Lyon, pour n'en citer que quelques unes. Mais les aménageurs tâtonnent encore. Grand Paris Aménagement travaille notamment la question à travers la ZAC du Bas-Clichy.
Les études sur le genre sont nombreuses, mais la question reste encore largement impensée en matière d'aménagement, et surtout, est difficile à traduire de manière pratique et opérationnelle. Quelques bureaux d'étude se sont bien spécialisés sur l'enjeu des usages et de l'inclusion, avec pour certains une approche spécifique sur le genre, mais ils sont peu nombreux.
Comme d'autres collectivités et aménageurs, Grand Paris Aménagement lui aussi a amorcé une démarche il y a quelques années. Si elle a vocation à essaimer d'une manière ou d'une autre pour parcourir l'ensemble de ses opérations, "une territorialisation de la démarche est [toutefois] indispensable pour prendre en compte la géographie des lieux et le profil démographique, social et économique des habitant(e)s" et "l'’implication d’habitant(e)s et de groupes d’habitant(e)s peut également sur le long terme conduire à un 'empowerment' (ou autonomisation) des femmes du quartier", expliquait GPA à l'occasion d'un événement (Elles Fest) en mars 2020, juste avant le premier confinement.
Chausser les lunettes du genre et ne plus les quitter
Le projet urbain de la ZAC du Bas-Clichy à Clichy-sous-Bois lui donne l'occasion de chausser les lunettes du genre pour ne plus les quitter sur l'ensemble de l'opération. Avec un postulat de départ : "sur la place de la Madeleine dans le 8e arrondissement de Paris comme à Villiers-le-Bel [Val-d'Oise], les femmes passent et ne s'arrêtent pas dans l'espace public", mais aussi une nette différence : une forme de "double peine" avec la fragilité économique et sociale de la plupart des femmes visant dans des lieux populaires, notait en mars 2020, Anna Kern, cheffe de projet au sein de la direction habitat privé de Grand Paris Aménagement.
Grand Paris Aménagement avait alors confié au collectif Approches!, un atelier d'urbanisme installé depuis quelques années à Aubervilliers, un diagnostic sensible sur la place des femmes dans ce secteur du Bas Clichy. La méthode d'Approches! se voulait à la fois qualitative et quantitative : pour le second volet, le collectif était passé par un comptage des personnes à différentes heures de la journée, de la semaine, etc.. Le collectif avait mené parallèlement des micro-trottoirs et des ateliers en petits groupes pour faire remonter le ressenti des femmes. Parmi leurs enseignements d'alors : un attrait spontané des femmes pour des lieux ouverts où l'on peut voir et être vue ou encore des stratégies d'évitement de lieux (tels que les city stade, grillagés donc fermés) où des groupes d'hommes sont positionnés de manière soutenue.
Situation de la ZAC, dont la maîtrise d'œuvre a été attribuée en janvier 2020 à Michel Guthman Architecture et Urbanisme (urbaniste et mandataire), accompagné de Base (paysagiste), Tugec (BET VRD), Thierry Maytraud - Agence ATM (BET spécialisé gestion des eaux pluviales) et ON (éclairagiste). Ce groupement a continué à travailler sur le plan guide réalisé par Base (avec Lambert-Lénack), avec l'objectif d'intégrer davantage les enjeux autour du genre.
Des espaces mieux pensés pour les femmes
Le collectif citait aussi l'enjeu d'emplacements stratégiques pouvant être investis durablement par les femmes : les pieds d'immeuble et le parvis de l'école, par exemple. A condition notamment d'un travail sur l'éclairage extérieur et le parcours, pour ne pas laisser d'obstacles sur le chemin - autant de repoussoirs possibles.
Plan masse de la ZAC - Base / Lambert Lénack - Lors de cet événement de mars 2020, un exemple avait été cité : celui d'une cage de football cassée, retirée d'un citystade, et qui n'avait finalement pas été réinstallée parce que d'autres pratiques s'étaient installées spontanément. Des femmes et des familles s'étaient réappropriées le site, permettant une répartition plus égalitaire de l'espace
Une approche intégrée pour un lieu plus accueillant et durable
Pour la ZAC du Bas-Clichy, qui se déploie sur le périmètre de l'Orcod-IN et a été concédée à Grand Paris Aménagement en juillet 2019 par l'Epfif, le groupement de maîtrise d'œuvre a été choisi en janvier 2020 (> Lire notre article "ZAC du Bas-Clichy : le projet urbain vers sa nouvelle version"). Michel Guthman Architecture et Urbanisme (urbaniste et mandataire) est accompagné de Base (paysagiste), Tugec (BET VRD), Thierry Maytraud - Agence ATM (BET spécialisé gestion des eaux pluviales) et ON (éclairagiste) pour continuer à travailler sur les fondamentaux et le plan guide réalisé par Base (avec Lambert-Lénack).
Grand Paris Aménagement a aussi missionné un AMO dédié aux questions du genre : en août dernier, il a à nouveau retenu le collectif Approches! aux côtés cette fois de l'association Womenability, spécialiste des questions de participation (des femmes). L'objectif était que ce groupement AMO fasse ensemble un second diagnostic, cette fois lié à la saison estivale, mais aussi qu'il puisse échanger avec la MOE dans le cadre d'ateliers devant permettre à celle-ci d'intégrer les remontées spécifiques sur le genre pour qu'elles atterrissent jusque dans les cahiers de prescriptions portant sur les espaces publics et les lots à construire.
Le plan guide a été validé il y a six mois, la phase AVP est en cours et sera validée en fin d'année, et ce cahier de prescriptions sera bientôt finalisé, explique Anna Kern à Cadre de Ville, en juillet 2021. Les premiers lots seront lancés en commercialisation l'année prochaine. I3F, bailleur social concerné, va lui aussi participer à des discussions avec l'AMO.
Assurer la visibilité des femmes pour les rassurer et les protéger
Que retient Grand Paris Aménagement de ce travail spécifique sur le genre ? A ce stade, un besoin d''éclairage naturel des paliers, des cages d'escaliers et des halls d'immeuble pour favoriser le sentiment de sécurité des femmes ; le soin à apporter aux espaces en covisibilité (balcons, loggias qui permettent d'être vus même chez soi) pour limiter les violences conjugales et favoriser la création de liens, favorables à tous mais en particulier aux femmes vivant parfois seules ; les parkings semi-enterrés ou en rez-de-chaussée plutôt qu'en profondeur et l'animation des pieds d'immeubles d'une manière plus générale, pour favoriser là aussi la transparence. L'idée est de "travailler la chaîne entre l'intime, le logement, et les espaces publics", sans oublier les espaces de transition entre le privé et le public, qui doivent être "appropriables", pour que les femmes puissent se sentir sereines tout au long de la journée et de la soirée, résume Anna Kern.
Pour apporter des aménagements efficaces, il faut aussi partir des usages en place. Par exemple, si les halls d'immeuble sont plutôt occupés par de jeunes hommes en journée ou le soir, les femmes s'y croisent le matin, et c'est un temps d'échange important, sur lequel on peut essayer de "capitaliser", illustre Anna Kern. Les bancs sont aussi un bon exemple, mais à adapter là encore au contexte. "A Clichy, la pente est très forte. Les femmes ont besoin de faire des pauses pour porter leurs courses". D'où l'intérêt de penser à cela au moment du choix des emplacements et de la nature des bancs - en étant conscient par ailleurs des mésusages (nuisances sonores, etc) que leur présence peut entraîner.
De l'agréable chez soi
Cette attention aux usages des femmes - dans toute leur diversité - vient par ailleurs percuter les besoins révélés par la crise sanitaire. Des besoins qui ne font "plus débat" depuis un an dans l'opération du Bas Clichy, tant pour la collectivité que les bailleurs sociaux ou les promoteurs, constate Anna Kern : c'est le cas par exemple de la nécessité des balcons, et des espaces extérieurs, qui sont devenus un acquis.
Mais des discussions doivent encore être approfondies, notamment autour de la notion de "l'agréable chez soi" qui sert à tous, mais en particulier aux femmes qui pour certaines restent beaucoup chez elles : l'intérêt de cuisines éclairées naturellement, ventilées, au sein d'une pièce pouvant être fermée ; ou encore de la pièce en plus, en tout cas "de plans de logements moins standardisés", "plus flexibles".
Le reste à vivre
Autre dimension qui concerne la question du genre mais au-delà, de l'inclusif et du durable : l'enjeu du "reste à vivre", qui touche tout le monde, mais là encore en particulier les femmes qui sont à la tête de la majorité des familles monoparentales. Grand Paris Aménagement a initié une démarche intitulée "copropriété durable", qui vise à réduire les charges pour les copropriétaires. L'enjeu est de prévenir le phénomène des copropriétés dégradées : cela passe par une action sur la taille (réduite) des lots pour pouvoir simplifier les enjeux de propriété ; par un accompagnement des primo-accédants sur trois ans (la gestion est financée par le promoteur qui en a contractuellement l'obligation) ; une construction qualitative à la manière d'un bailleur social gestionnaire de son patrimoine sur la durée. La démarche est réfléchie sur le Bas Clichy.
Phasage des espaces publics - Base / Lambert Lénack - le groupement s'appuie sur la programmation développement économique et commercial, habitat, mobilités, et aménagement des espaces publics majeurs (futur parc de la Lorette, Pelouses nord, parc de la Mairie et promenade du Mail) intégrant la question du genre - la mairie de Clichy a par ailleurs accepté l'installation de toilettes publiques près de l'un de ses parcs
Grand Paris Aménagement poursuit aussi plus largement sur la ZAC du Bas-Clichy une approche intégrée de développement durable, avec l'enjeu de la maîtrise du coût global du projet urbain, de la préservation de l'environnement et du développement social. La Ville de Clichy-sous-Bois a d'ailleurs récemment accepté d'opter pour une gestion à ciel ouvert des eaux pluviales, ce qui l'oblige à former ses équipes et à informer les habitants sur cette nouvelle pratique - la collectivité dirigée par le président de l'Anru a accepté d'opter pour cette solution face à l'urgence climatique, précise l'aménageur.
Grand Paris Aménagement, qui construit en ce moment son futur plan stratégique, a deux terrains d'expérimentation supplémentaires sur le genre. Le premier concerne la concession Derrière les Murs de Monseigneur/Puits la Marlière, à Villiers-le-Bel. C'était justement sur ces quartiers NPNRU que la Ville avait lancé une mission d'AMO spécifique pour veiller à ce que tous les aménagements soient égalitaires, mission conduite par Genre & Ville et le BET Arobe.
Du côté de Neuilly-sur-Marne, sur la ZAC Maison Blanche, avant de lancer la phase 2 de l'opération, un diagnostic vient d'être réalisé et le genre a été l'un des sujets regardés de près par l'AMO développement durable Vizea qui travaille depuis longtemps sur cette ZAC et a aussi pris en charge le questionnement sur le genre. L.R.