A l'usage unique de
Il était coordonnateur général des contrats de transition écologique pour le ministère quand il a été appelé pour diriger le Cerema, en 2018. Pascal Berteaud revient pour Cadre de Ville sur la manière dont les solutions fondées sur la nature occupent une place importante désormais chez les acteurs de l'urbain et dont la structure qu'il dirige essaie d'accompagner cette tendance de fond. Le centre d'expertise est par ailleurs partenaire des Entretiens du Cadre de Ville, qui auront lieu mardi 5 octobre à Paris - ou en distanciel.
Pascal Berteaud, directeur général du Cerema - voir la plaquette en ligne des Entretiens du Cadre de Ville
Vous avez participé au Congrès mondial de la biodiversité qui s'est tenu début septembre à Marseille. Quelle place occupe la biodiversité dans votre travail ?
Nous avons en effet assisté aux travaux de l'UICN, notamment pour mettre en valeur la lutte contre la pollution lumineuse et la continuité écologique dans les projets urbains - nous-mêmes avons évolué et sommes montés en compétences sur ce sujet.
A Marseille, nous avons notamment signé une convention avec l'OFB (Office français de la biodiversité) pour avancer ensemble sur ces sujets-là [notamment accompagner la 3e stratégie nationale pour la biodiversité auprès des acteurs locaux].
La biodiversité est en train de devenir un enjeu, au même titre que la lutte contre l'artificialisation, et bien sûr la lutte contre le réchauffement climatique et l'adaptation au changement climatique.
C'est un pilier particulièrement important, et ce qui est intéressant c'est le changement d'approche en cours : de plus en plus, les acteurs considèrent l'utilisation des ressources de la biodiversité comme un moyen de trouver des solutions aux problèmes et pas l'inverse, notamment pour s'adapter au changement climatique et faire face aux conséquences importantes des îlots de chaleur.
Trame verte et bleue, plan canopée... les solutions fondées sur la nature occupent une place assez forte désormais. La clé est d'intégrer les enjeux environnementaux le plus en amont possible, de façon systématique, pour préserver les écosystèmes existants.
Comment permettre le développement urbain dans le respect de la faune et de la flore mais sans nuire à l'avancée des projets ? Autrement dit, aménagement et biodiversité font-ils bon ménage ? Doit-on sanctuariser davantage d'espaces interdits aux hommes ?
Quel degré de protection doit-on avoir ? La plupart des endroits de biodiversité en ville sont ouverts. Il faudra de plus en plus être capables de réguler la quantité de personnes dans tel ou tel endroit - par exemple, le parc des calanques est confronté à une sur-fréquentation par exemple, et il va falloir s'adapter.
Plus largement, la biodiversité joue sur toutes nos actions, que ce soit les infrastructures, la mobilité, l'aménagement des villes, la conception, la gestion, etc... Pour le Cerema aussi, penser biodiversité a été un gros changement, puisque nous sommes passés d'une logique bâtimentaire, qui était une composante majeure de l'aménagement, à une réflexion amont de préservation de la biodiversité avant toute autre chose. Si je prends l'exemple de la trame noire pour lutter contre la pollution lumineuse, ce n'est pas une fois que l'aménagement est fait que l'on doit penser aux corridors, aux températures de couleurs... In fine, on doit pouvoir arriver à des aménagements qui soient bons pour l'homme et l'ensemble des écosystèmes.
Comment les acteurs de l'urbain gèrent cet enjeu actuellement selon vous ?
Depuis 4 ou 5 ans, ces idées ont infusé dans la population et donc auprès des élus et des techniciens. Cela aboutit au changement culturel en cours. Après, tout est question de formation et d'acculturation - nous produisons des guides pour aider à cela -, de diffusion des méthodologies. Les compétences existent, et par exemple dans un groupement, croiser les regards sur un projet urbain et notamment introduire un écologue pour concilier les besoins des habitants et les impératifs écologiques, permet de bien prendre en compte ces enjeux. Maintenant, l'important va être de vite changer d'échelle, tout en faisant du sur-mesure à chaque fois.
Les PLU ont aussi évolué et donnent désormais des leviers pour bien travailler sur la biodiversité, avec des emplacements réservés et des délimitations d'espaces à renaturer notamment. On a donc les outils et les méthodes et on peut donc, par exemple, reprendre un PLU sur la base d'études poussées en écologie, et pas seulement en ajoutant un peu de vert. Cela nécessite que le sujet soit porté politiquement.
Les PLU permettent aussi de faire le lien entre le ZAN et les documents d’urbanisme et de projeter l'impact du projet urbain en la matière. D'ailleurs, Philippe Branchu, qui est ingénieur-chercheur référent Eau-Sol-Nature à la direction territoriale Île-de-France du Cerema, animera une "keynote" lors des Entretiens du Cadre de Ville dont vous êtes partenaires et qui auront lieu le 5 octobre prochain. (> Consulter le programme ou s'inscrire aux Entretiens)
On est aussi à un virage en matière de lutte contre l’artificialisation des sols. Des outils se mettent en place et la loi Climat et résilience inscrit des objectifs en la matière. Une fois qu'on a dit ça, il faut penser à des changements sur des périodes assez longues, en cartographiant les friches [le Cerema a mis au point Cartofriches, une application conçue pour recenser les friches à la demande du gouvernement], en lançant des démarches de désartificialisation des sols, en retravaillant sur des friches.
Cela oblige les aménageurs à un changement de culture, là aussi. Et ce n'est pas fini. Un exemple : quand vous êtes sur une route, il y a souvent des délaissés à côté. On les laisse tels quels alors qu'on devrait les rendre à la nature. Un travail doit commencer sur ce type de sujets. Et pour trouver le modèle économique, il ne faut pas prendre le sujet de la désartificialisation tout seul mais intégrer ce coût dans une stratégie globale.
Préservation de la biodiversité, artificialisation la plus faible possible, adaptation du changement climatique... nous sommes à un moment décisif, celui du mandat dans lequel il faut absolument agir. Les Entretiens du Cadre de Ville font pour cette édition le pari qu'en matière de transitions, "villes et territoires passent à l'action".
Oui, j'observe aussi une volonté forte d’agir. D’une certaine façon, la pandémie qu’on vient de vivre nous a prouvé qu'on pouvait changer radicalement de façon de fonctionner dans des délais courts. Le mouvement est engagé, des projets de recherche existent, tels que ceux du Cerema labellisés Institut Carnot - avec Clim'Adapt [qui vise à créer une interface entre les entreprises et les collectivités territoriales pour codévelopper et déployer des solutions innovantes] - des partenariats se nouent, des incubateurs se déploient... Nous travaillons avec une trentaine de collectivités locales de toute taille et à des degrés divers sur leur résilience et leur adaptation au changement climatique. Les conséquences du changement climatique seront terribles si on ne fait rien dans les trente ans. Mais si on traite cet enjeu dès maintenant, des solutions existent.
Propos recueillis lundi 27 septembre 2021 par Lucie Romano