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06 janvier 2022

Hugues Moutouh veut "maîtriser les tensions urbaines"

Le préfet de l'Hérault en poste depuis juillet 2021, était invité à croiser sa connaissance des questions de sécurité et d'immigration avec les questions urbaines ce 5 janvier 2022, lors d'une matinale du Club Ville de Demain créé par le CEPS - le centre d'étude et de prospective stratégique. Pour lui, à côté des tâches de la police, l'introduction d'une véritable mixité urbaine dans les quartiers Anru sera une condition nécessaire du retour à la paix sociale. Mais elle supposera d'en finir avec les "replis communautaristes", et toute forme de "séparatisme".

Hugues Moutouh, préfet de l'Hérault
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Arrivé fin juillet 2021 dans l'Hérault à 53 ans, le nouveau préfet ne manque pas de hauteur de vue. Sa formation initiale (agrégé de droit public, docteur en droit public), puis son parcours en cabinets ministériels ont fait de lui un expert en questions de sécurité. On le retrouve auprès de Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire (2005-2007), puis à la présidence de la République (2011), il est ensuite conseiller de Claude Guéant en charge de la sécurité nationale, auprès du ministre qui cumule l'intérieur, l'outre-mer, les collectivités locales et l'immigration.

Il était invité à croiser cette connaissance des questions de sécurité et d'immigration avec les questions urbaines ce 5 janvier 2022, lors d'une matinale du Club Ville de Demain créé par le CEPS.

Agrégé de droit public, conseiller à l'Elysée et homme de terrain

Personnage aux multiples facettes, il a en effet d'un côté siégé au Conseil d'Etat avant de faire carrière dans les cabinets, entre deux postes de préfet de la Creuse et de la Drôme, entretemps avocat à son compte, il a été ausi videur en boîte de nuit, souligne avec un sourire Frédéric Péchenard, qui rappelle son niveau de ceinture noire de karaté. Les deux hommes se sont connus lors de l'affaire Merah, quand Frédéric Péchenard était directeur national de la Police.

Interrogé sur le lien éventuel entre immigration et délinquance, Hugues Moutouh, tout en annonçant une "immigration climatique massive et inéluctable", estime que ce lien n'est pas établi. "Attention aux raccourcis, dit-il, on ne met pas un signe égal entre immigration et délinquance. Mais il faut comprendre certains phénomènes."

Les replis communautaristes, sources de tension

En revanche, il établit un lien entre d'une part délinquance et sentiment d'insécurité dans les villes, et d'autre part les phénomènes de repli identitaire - de "séparatisme" formule-t-il, et c'était le sujet de sa thèse de doctorat en droit public.

Selon le tout récent préfet de l'Hérault, "une part très importante de la délinquance dans le département se situe dans les zones de sécurité prioritaires, et dans les QPV, les quartiers prioritaires de la politique de la ville".
Selon lui, chargé du maintien de l'ordre dans le département, une part importante des forces de police se consacre à la sécurisation de ces ensembles de logements "pas toujours situés à la périphérie des villes", note-t-il, ajoutant : "A Marseille ils sont situés en pleine ville centre, et à Montpellier juste à la sortie de l'Ecusson, donc en hyper centre."

Hugues Moutouh pointe un sujet largement mis en évidence lors du bilan du premier programme de rénovation urbaine de l'Anru. "Ces quartiers sont pour beaucoup des quartiers où règne une absence de mixité sociale - des quartiers marqués également par le repli communautaire."

Le délicat impératif de mixité sociale dans les quartiers Anru

Avec d'autres mots, les deux jours de journées d'études de l'Anru (les Jeru), organisées début juillet 2021, relevaient également l'impératif de mixité sociale dans les quartiers. En effet, le premier programme de l'Anru, s'il a conduit à métamorphoser l'organisation et l'allure générale des grands ensembles, et apporté des services et des commerces nouveaux, n'a pas mis fin à la ségrégation sociale qui les caractérise. "On va vers la mixité, mais cela prend du temps", reconnaissait le directeur de l'Anru d'alors Nicolas Grivel, tout en indiquant que cela relevait de politiques de mixité à l'échelle des agglomérations.

Pour le préfet de l'Hérault, le souci c'est "la sécurité du quotidien", qui s'accommode mal du temps long. Pour lui, cet objectif de mixité a tardé à être défini. "Longtemps, ces quartiers ont fait l'objet d'un traitement exclusivement social." De fait, la commission pour le développement social des quartiers naît en 1981 avec Hubert Dubedout à sa tête, suivie de grands plans décidés après octobre 1990 et les émeutes de Vaulx en Velin, puis 1991 et celles de Sartrouville et Mantes la Jolie.

Reconnaissance de la violence urbaine

En mai 1991 Michel Delebarre devient le premier ministre "de la Ville", ministre d'Etat - outre de l'aménagement du territoire. Malgré cette dimension d'urbanisme, le préfet de l'Hérault estime que, alors, "on prend conscience d'un sujet lié à la jeunesse issue de l'immigration". En 1992, le député Julien Dray signe un rapport sur "la violence des jeunes de banlieue".

Selon Hugues Moutouh, le ministère de l'Intérieur s'interroge alors. "La direction des renseignements généraux s'intéressait aux groupes subversifs et violents, associés à la sphère politique. Puis, à partir de 90 on s'intéresse aux dites violences urbaines." Pour lui, sans le dire car le sujet est tabou, on fait ainsi le lien avec l'immigration - on parle de "quartiers où il n'y a pas de mixité" - comme c'est parfois le cas aujourd'hui. La commissaire Lucienne Bui-Trong établit scientifiquement une échelle d'évaluation des quartiers en fonction de la violence.

Mise en évidence du repli communautaire dans les années 2000

Dans les années 2000 l'étude du repli communautaire apparaît déjà. "En 2004, un rapport des RG dit tout - on n'y changerait pas une virgule aujourd'hui". En 2005, de nouvelles émeutes éclatent - " j'étais le conseiller de permanence lors du décès des deux jeunes à Clichy Montfermeil. Dans mon analyse, ce sont des émeutes raciales, comparables à celles de Los Angeles en 2012, ou de celles qui ont suivi la mort de Georges Floyd. Au départ, il y a un contrôle de police qui tourne mal. Dans tous les cas, il s'agit de minorités qui se sentent discriminées."

"Cela n'épuise pas la question de la délinquance, mais un lien est immédiat avec les quartiers. Composition sociale et absence de mixité, attitude particulière de certains groupes repliés sur eux-mêmes.." L'équation paraît complexe et sa résolution ne passera sans doute pas par la seule action policière - parfois indispensable -, mais on 'a pas encore réussi à sortir de l'assignation à résidence que constitue l'attribution d'un logement dans une ZSP marquée par le repli identitaire."

"Un phénomène de décivilisation"

Sans esquiver le débat sur l'immigration irrégulière, le préfet de l'Hérault désigne le repli communautaire comme principale source de tension urbaine - source également de toutes les exploitations. Il relève en France une diversité de groupes ethno culturels, des groupes qui se définissent par une culture, une religion, une langue qui leur est propre, tout en constituant des minorités. "Les anglo-saxons ont l'habitude de gérer la relation majorité-minorités ; mais la France défend un modèle d'unité du peuple français, où les communautarismes n'ont pas leur place.

Pour lui, l'immigration de travail puis familiale assez massive depuis les années 70 a profondément transformé la physionomie de la société française. On peut dire aujourd'hui que la société française est plurielle, pluri culturelle.
Pour Hugues Moutouh, "le problème, c'est quand ces minorités se replient sur elles-mêmes au point de se séparer de la communauté nationale - c'est ça le séparatisme."

Sur le fond, les tensions urbaines spnt un problème qui relève, selon lui, d'un phénomène de "décivilisation des mœurs", dit-il, faisant référence à Norbert Elias, pour qui la civilisation est un processus lent. "On maîtrise de moins en moins nos pulsions, nous sommes confrontés à des refus d'obtempérer pour peu de chose. j'ai lancé des opérations de fouilles de sacs autour des lycées parce qu'on a eu des incidents à l'arme blanche. On en a trouvé. Les lycéens disent 'c'est pour me défendre'. On sort armé, cela veut dire qu'on est prêt à se faire justice soi-même. C'est le contraire de la civilisation..."

Rémi Cambau

 

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