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21 mai 2023

Venise 2023 : l'Afrique au cœur, Lesley Lokko appelle à fonder l'architecture du futur

La curatrice de la 18ème édition de la Biennale d'architecture de Venise veut casser les codes de l'architecture contemporaine et donner le pouvoir aux créateurs africains. La programmation du "Laboratoire du futur", en forme de manifeste, vise à fonder une nouvelle pratique de l'architecture dans un monde qui s'hybride rapidement. Une vision rafraîchissante et, surtout, impactante. La Biennale est ouverte depuis le samedi 20 mai, et jusqu'au dimanche 26 novembre 2023.

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Une œuvre collective marque l'entrée de la Biennale d'architecture dans le Pavillon central des Giardini. Cette carte suspendue, enchevêtrée, en forme de canopée est constituée de fragments composés par chacun des participants du Laboratoire du futur, invitant le public à établir des connexions nouvelles entre les créateurs, les espaces, les idées et les formes. Crédit photo A.E.
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Un voyage dans le monde et en nous-même, une invitation au changement… Un vent de renouveau souffle sur la biennale d'architecture de Venise, qui a ouvert ses portes samedi 20 mai dans le cadre majestueux des Giardini et de l'Arsenal.

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Confiée à Lesley Lokko, personnalité aux multiples facettes, à la fois romancière, architecte, enseignante ou encore sociologue, dont la naissance, d'un père ghanéen et d'une mère écossaise, et la vie, entre Accra, Londres, Los Angeles, Johannesburg, Sydney ou encore New York, outrepassent les frontières, la programmation de cette 18ème édition interroge ce que nous sommes, ce que nous voulons être, comment nous sommes au monde et quel avenir nous souhaitons y bâtir.

Roberto Citutto, président de la Biennale de Venise, et Lesley Lokko, curatrice de la 18ème édition, présentent à la presse, jeudi 18 mai 2023, les enjeux et les problématiques de l'exposition "Le laboratoire du futur". Crédits Jacopo Salvi
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Car c'est bien d'architecture qu'il s'agit - même si certains ironisent, se demandant s'il ne s'agit pas d'une biennale d'art contemporain - et, plus encore, d'une remise en question de ce qu'est et de ce que doit être l'architecture contemporaine. "L'histoire de l'architecture est incomplète, pas fausse, mais incomplète" estime la curatrice, dont l'une des ambitions est de combler ce manque.

Baptisée "Counteract", à traduire par contrecarrer, contrer ou contrebalancer, l'installation de l'architecte germano-burkinabé Francis Kéré nous rappelle que le continent africain est responsable de moins de 4% des émissions mondiales de GES et que les modes de construction ancestraux peuvent être mis au service d'une "vision fantastique et durable de l'architecture", Crédit photo A.E.
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En déplaçant le point de vue, en dénonçant l'accaparement de la pratique et de la théorie architecturales par l'occident - "en architecture tout particulièrement, la voix dominante a toujours été une voix singulière et exclusive" - et en mettant l'Afrique au cœur du processus de création, Lesley Lokko ouvre une nouvelle perspective sur la, ou plutôt les façons d'habiter le monde.

Maquette de la bibliothèque présidentielle Thabo Mbeki, qui doit bientôt voir le jour à Johannesburg, en Afrique du Sud. Imaginé par Sir David Adjaye Obe, architecte britannico-ghanéen de renommée mondiale, ce projet de bâtiment durable, organisé autour de huit formes cylindriques inspirées des magasins à grains, sera édifié en briques de terre compressée, l'un des premiers matériaux de construction utilisé dans l'histoire de l'humanité. Crédit photo A.E.
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Le duo franco-tunisien d'architectes Vanessa Lacaille et Mounir Ayoub est allé à la rencontre des dernières familles nomades du désert, à la frontière de l'Algérie et de la Tunisie, et des communautés roms établies en Suisse. Il dénonce les conditions de vie indigne de ces populations, interroge la disparition d'un mode de vie millénaire et trace des pistes pour "une architecture de résistance et d'hospitalité". Crédit photo A.E.
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Une interprétation du co-living par l'agence d'architecture ZAO/standararchitecture, fondée par l'architecte chinois Zhang Ke en 2001. Ce mode de vie, souvent subi, peut-il se transformer en co-living actif, à la fois politiquement et architecturalement ? Crédit photo A.E.
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Son "Laboratoire du futur", alimenté par une critique constructive du couple décolonisation/décarbonation, bouscule les évidences et pose les bases d'un nouveau socle conceptuel.

Lesley Lokko rappelle que "le corps noir a été la première source d'énergie de l'Europe" et unit dans un même élan la nécessaire entreprise de décolonisation et de décarbonation de la société. La maquette ci-dessous, baptisée "The extracted pavilion", s'inspire du projet de  pavillon belge de l'exposition universelle de 1935, dessiné par l'architecte Henri Lacoste mais resté dans les cartons. Elle fait partie d'une série conçue par Sammy Baloji, du studio Twenty Nine, intitulée "Le futur qui n'a jamais été". Crédit photo A.E.
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"L'équilibre a changé" clame Lesley Lokko et le panel de créateurs appelés à exprimer leur vision en est une parfaite illustration. Sur les 89 contributeurs, plus de la moitié viennent d'Afrique ou appartiennent à la diaspora africaine.

Le "BLACK City Astrolabe" de l'architecte, designer et éducatrice américaine J. Yolande Daniels conclut la visite du Laboratoire du futur dans le bâtiment principal de l'Arsenal. L'œuvre rend hommage aux femmes de la diaspora africaine dans une constellation dynamique qui traverse le temps et l'espace. Crédit photo A.E.
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La moyenne d'âge est de 43 ans et tombe même à 37 ans pour les "projets spéciaux" de la commissaire. Plus de 70% des projets ont été produits par une individualité ou une très petite équipe… On est très loin des grandes machines et de l'entre-soi de certaines éditions.

Une fenêtre du futur (détail) vue par le Riff Studio new-yorkais qui réunit Rekha Auguste-Nelson, Farnoosh Rafaie et Isabel Strauss. Inspirée du programme 'Case study house" lancé par le magazine Arts & Architecture au lendemain de la Seconde guerre mondiale, cette réalisation est à la fois ornementale et intimiste, préservant les occupants des regards extérieurs. Crédit photo A.E.
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Nombre de ces contributeurs - artistes plasticiens, cinéastes, militants… - n'ont d'ailleurs qu'un lien distant avec l'architecture, qu'ils abordent par des faces différentes.

Pour les ivoiriens Koffi & Diabaté Architectes, construire une ville africaine suppose d'inventer une pratique architecturale africaine. Une vision appliquée au projet d'aménagement de la ville d'Ebrah, développé en trois volets, mémoire, manifeste et modèle. Crédit photo A.E.
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Une diversité d'approche assumée : "nous avons délibérément choisi de désigner les participants comme des "praticiens" et non comme des architectes et/ou des urbanistes, designers, paysagistes, ingénieurs ou universitaires, parce que nous soutenons que les conditions riches et complexes de l'Afrique et d'un monde qui s'hybride rapidement appellent une compréhension différente et plus large du terme "architecte"" revendique la commissaire.

La mezzanine du pavillon central est dédiée à l'œuvre de l'artiste nigerian Olalekan Jeyifous, qui vit et travaille à Brooklyn. Cette vision afro-kitsch-futuriste met en scène un aéroport alimenté aux énergies vertes dans un monde post-colonial qui cherche à réparer les dommages de l'impérialisme occidental. Crédit photo A.E.
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La cohérence est plutôt à rechercher dans la posture de ces praticiens, leur place dans le monde et leur capacité à sortir du cadre : "tous les participants à cette biennale s'expriment à partir de la position richement créative "à la fois/et" qui est spécifique à ceux qui occupent plus d'une identité, parlent plus d'une langue ou parlent depuis des lieux qui ont longtemps été considérés comme extérieurs au centre".

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Cette extériorité et cette hybridation sont particulièrement fécondes si l'on en juge par l'extrême liberté et la diversité des oeuvres exposées. "Il est impossible de construire un monde meilleur sans l'avoir d'abord imaginé" atteste Lesley Lokko, qui met l'imagination au pouvoir dans cette quête des futurs possibles. 

Mur ornemental fabriqué à partir de déchets de démolition et d'éclats de verre vénitien par un trio de créateurs, la brésilienne Gloria Cabral, le congolais Sammy Baloji et la martiniquaise Cécile Fromont, Crédit photo A.E.
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Cette invitation à repenser et refonder l'architecture passe par tous les sens, toutes les sensibilités, dans une synesthésie assumée. Elle s'exprime sur d'innombrables médiums, bois et béton, papier et marbre, plastique et métal, pellicule et verre, ondes sonores et lumineuses…

Détail du bloc de marbre noir dans laquelle "The Identity Column", qui marque l'entrée dans les salles d'exposition de l'Arsenal, a été sculptée. Le projet, qui mixe les codes de l'architecture antique et la puissance organique de la nature a été conçu par l'architecte Germane Barnes, qui vit et travaille à Miami. Crédit photo A.E.
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Elle questionne aussi le rapport de l'homme à la nature, dénonce l'exploitation outrancière des ressources, creuse les sols pour dévoiler les traces d'occupation millénaire et nous invite à reconstruire sur ces fondations oubliées.

Le brésilien Paulo Tavares a ressorti les archives de l'ethnobotaniste William Balée, lors de sa rencontre avec la tribu des Ka'aport à l'Est de l'Amazonie dans les années 1980 et est parti à la recherche des vestiges archéologiques des anciens peuplements Xavante. Ce projet, intitulé "Forest pavilion", interroge les liens entre nature et architecture. Il pose la question : les arbres, les vignes et les palmiers peuvent-ils être interprétés comme des monuments historiques ? Crédit photo A.E.
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C'est enfin un voyage dans le temps, un travail de mémoire, qui tisse des liens entre le passé et le présent pour nous inviter à penser un futur autre, conscients de cette trajectoire dans laquelle nous nous inscrivons et convaincus que nous pouvons l'infléchir, lui donner une autre direction.

L'impression qui ressort à la visite de ce manifeste multiforme est celle d'une somme, d'une addition de personnalités et de constructions individuelles qui se répondent et résonnent d'autant plus fort. L'architecture y est pensée comme un art global, total, et cette refondation est finalement un retour aux sources. "L'architecture est la mère de tous les arts. Sans une architecture bien à nous notre communauté n'a pas d'âme", rappelait Frank Lloyd Wright il y a près d'un siècle. Le message est toujours vrai mais l'identité du "nous" n'est plus tout à fait la même. 

Alexandre Excoffon, envoyé spécial

> Accéder au site internet de la Biennale di Venezia

L'architecture est partout dans les rues - Île de la Guidecca à la tombée de la nuit, Crédit photo A.E.
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