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03 septembre 2024

Pascal Berteaud : "L'adaptation au changement climatique ne peut pas attendre"

"Nous savons que nous avons du temps avant une dégradation forte des conditions de vie à +4° en moyenne, mais si nous ne nous y préparons pas dès maintenant, on risque de connaître une crise comme l'humanité n'en a pas connu beaucoup", alerte Pascal Berteaud, le directeur général du Cerema, quand on l'interroge sur le thème d'ouverture de la journée des Entretiens du Cadre de Ville le 17 octobre prochain. Certes, le Plan national d'adaptation au changement climatique (le PNACC) n'a pas pu être mis en consultation publique du fait de la démission du gouvernement. Il avait été préparé sous l'égide de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui expliquait le 18 juillet : "les conditions ne sont plus réunies pour que ce Gouvernement endosse la responsabilité d'une stratégie qui engage l'avenir du pays sur plusieurs décennies". Cependant, les Entretiens du Cadre de Ville présenteront le plan d'EDF, celui de SNCF Immo, celui de la Banque des Territoires, et le détail des actions de l'Ademe et du Cerema. En voici un avant-goût.

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>> Voir le programme synthétisé des Entretiens 2024 du Cadre de Ville

 

Propos recueillis par Rémi Cambau le 8 juillet 2024

Le programme des Entretiens du Cadre de Ville pose comme point de départ que l'aménagement aujourd'hui doit concilier trois termes, l'adaptation au changement climatique, la sobriété, et la conduite d'une transition juste. Partagez-vous cette analyse du moment où se trouvent les territoires français et leurs aménagements ?
Je crois qu'effectivement, nous sommes confrontés à plusieurs défis de manière concomitante : poursuivre l’effort de diminution des émissions de gaz à effet de serre, avec un objectif européen de tenir -55% en 2030, et adapter nos territoires au réchauffement climatique. Même si on réduit les émissions et à supposer que tous les engagements pris par tous les pays sur la terre entière soient tous respectés, les modèles prédictifs nous indiquent que la France connaîtra un réchauffement moyen de quatre degrés. Cela veut dire des étés beaucoup plus chauds, des températures pouvant atteindre 50° à Paris, des événements exceptionnels, tempêtes, inondations, beaucoup plus fréquents, un climat beaucoup plus instable. Bref, on ne vivra plus dans le même pays... Il faut avoir cette perspective en tête.

C'est pourquoi il faut poser dès maintenant la question de l'atténuation et de l'adaptation, pour anticiper au mieux les conséquences pour les territoires. Cela veut dire qu'il faut à la fois réfléchir à la façon dont on vivra dans trente ou quarante ans dans un climat déréglé, et comment on tient l'objectif de réduire les émissions de 55%.

La sobriété est dans ce cadre une question particulièrement centrale, et pas d'ailleurs seulement sur les questions énergétiques, mais également sur les questions de ressources en eau et de consommation d'espace. On voit bien que tous ces phénomènes s'alimentent les uns et les autres.

Comment savoir comment on va vivre dans trente ou quarante ans et comment s'y adapter ? Peut-on dire comment on vivra dans les Pyrénées orientales, dans les Wateringues ou autour de Lyon, et comment s'y adapter aujourd'hui ?
Mais c'est ce que nous essayons de faire, de territorialiser les approches. Nous venons de lancer en ce début juillet 2024 le premier séminaire avec les 28 territoires retenus pour travailler sur la traduction à leur échelle des scénarios à +4 degrés, et définir des stratégies d'adaptation.

Au Cerema nous avons le changement climatique optimiste. On mesure les conséquences du dérèglement, mais on sait qu'on a trente ans devant nous. Certes, si l'on attend vingt ans pour commencer à agir, on risque de connaître une crise comme l'humanité n'en a pas connu beaucoup. Mais si on s'y prend dès maintenant, en vingt ou trente ans on peut faire des choses.
C'est un peu notre leitmotiv. Derrière chaque sujet, chaque conséquence du changement climatique, nous pensons que nous avons des solutions. Et, au fur et à mesure du temps, on va continuer à en mettre au point.
Le vrai problème, c'est que tout ça change de manière substantielle tous les curseurs, toutes les composantes de la vie de chacun. Déjà, en y mettant trente ans, ce ne sera pas simple, mais si on ne s'y prend pas à temps, ce sera un cataclysme.

On touche ici la question de la justice dans la transition, entre les personnes, et entre les territoires. Comment la question se pose-t-elle selon vous ?
J'ai du mal à définir ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, à mon niveau. La question renvoie à des débats politiques - très actuels du reste, et qui ont été présents dans la campagne des élections législatives.

Ce qui reste vrai, c'est que ce sont souvent les personnes les plus fragiles et les plus précaires qui subissent le plus les conséquences des changements. La puissance publique ne peut pas agir de la même façon avec les uns et les autres. Certains sont capables d'adapter eux-mêmes leur environnement, leur cadre de vie, et d'autres pas. Il faut intégrer les capacités individuelles d'adaptation comme des données de base dans les plans d'adaptation d'un territoire.

La notion de différence de traitement peut s'entendre aussi entre territoires, certains devant être plus touchés que d'autres, par le retrait du trait de côte, par les inondations ou la perte de la ressource en eau. La puissance publique ne va-t-elle pas devoir traiter différemment les uns et les autres ?
Sur le trait de côte le débat a lieu en ce moment. On réfléchit à la mise en place d'un dispositif de solidarité avec les propriétaires les plus précaires dont la maison va être détruite par le recul du trait de côte. Mais ce dispositif doit-il être mis en place ici seulement, sur le littoral, ou à l'échelle de la nation tout entière ? Entre les collectivités et l'Etat, entre les collectivités entre elles, les avis ne sont pas les mêmes. Là aussi, ce sont des questions politiques. Je ne détiens pas les réponses à mon niveau.
Revenons-en donc à l'adaptation. Quelles sont les grandes lignes aujourd'hui de votre action pour l'adaptation au changement climatique ?

Nous essayons de tenir une stratégie d'adaptation et de résilience des territoires vis-à-vis des risques, dont nous mesurons la fréquence et l'intensité. Notre logo affiche une orientation "Climat et Territoires de demain". Le Cerema couvre tous les métiers de l'aménagement, tous conditionnés par le changement climatique. La simple construction d'une route doit tenir compte de l'effet de la chaleur ou de l'hygrométrie à des degrés jamais connus jusqu’alors. Il va sans doute falloir refaire toutes les routes un peu importantes en France, au fur et à mesure des plannings d'intervention des gestionnaires. En s'y prenant dès maintenant, on peut les reconfigurer pour le climat de 2050. Il est possible d'intégrer l'adaptation aux conséquences du changement climatique dans les plans d'entretien.

Nous travaillons à bâtir une vision intégrée, et l'action +4° avec les 28 territoires retenus va nous en donner une occasion, d'autant plus maintenant que Météo France a libéré ses données. Quel sera l'impact climat sur le territoire dans 40 ans, et sur les activités humaines, et quelles stratégies peut-on mettre en œuvre dans les 20 à 30 prochaines années ?
Un peu plus proche en termes d'échéance, nous avons lancé deux appels à partenaires sur la Gemapi, pour travailler sur le risque inondation. Le travail est bien avancé avec Tours, Poitiers, le Grand Est, la Sarthe ou Bordeaux. Nous travaillons encore d'autres sujets comme le retrait-gonflement des argiles.

L'approche est toujours la même : après un diagnostic territorial, on élabore un plan d'action avec les collectivités à l'échelle locale.
Notre credo, je le redis, c'est que le changement climatique est à l'œuvre et qu'il faut être réaliste, et s'y préparer.
Je prendrai un autre exemple, celui du retrait-gonflement des argiles : nous travaillons à une solution visant à réinjecter l'eau de pluie sous les fondations pour faire en sorte que l'hygrométrie soit stable dans les fameuses argiles gonflantes. Sur chacun de ces sujets, on peut trouver des solutions.

Dans ce contexte, votre développement s'était réorienté vers la territorialisation. Le Cerema a changé de statut, s'est ouvert aux collectivités et joue un rôle qui se veut plus proche de leurs préoccupations. Où en êtes-vous de ce développement ?
Il est certain que les métiers de l'aménagement sont en grande partie décentralisés auprès des collectivités, de même que les compétences en matière d'aménagement du territoire. Nous étions un établissement public de l'Etat or pour intervenir sur des questions à cette échelle, il faut être dans l'orbite des collectivités, tout en maintenant notre capacité d'expertise pour l'Etat. Il a donc fallu imaginer un statut qui permette d'être à la fois établissement public local et établissement public d'Etat.
Nous avons ouvert le Cerema à l'adhésion des collectivités voici un an, et 930 ont adhéré à ce jour. Toutes les régions, 85% des départements, le reste se partageant entre un peu plus de 400 communes et 400 intercommunalités. Ce qui prouve qu'il y avait un vrai besoin de collectivités qui se sentent plutôt démunies.

Le projet stratégique pour 2025-2028 va intégrer de nouvelles demandes. On nous demande de réinvestir certains aspects de la gestion de l'eau, de travailler sur les jumeaux numériques, sur le développement des services ferroviaires...  Non seulement elles ont adhéré en nombre, mais elles ont des exigences. C'est de bon augure.

Quel va être selon vous le défi des prochains mois dans les enjeux d'aménagement ?
Il va falloir poursuivre la prise de conscience assez forte des élus sur le terrain qu'il y a un changement climatique et qu'il va falloir s'adapter. Une conscience qui s'est affirmée juste après le Covid. Comme si le virus avait remis en question toutes les certitudes, et incité à se poser des questions. Il ne faudrait pas que les enjeux actuels de court terme effacent les enjeux de moyen et long terme, ou les renvoient à plus tard. Mais je reste optimiste. Les collectivités qui se sont engagées sont profondément convaincues et ne s'arrêteront pas.