A l'usage unique de
"Qu’il s’agisse d’agriculture urbaine, d’adaptation aux changements climatiques, de transition écologique au sens large, l’un des maîtres mots sera la sobriété", défend le président de la FNCAUE auprès de Cadre de Ville, le 3 septembre 2019. Egalement agriculteur, Joël Baud-Grasset estime qu'avec la pression foncière, "les difficultés rencontrées par certains élus locaux pour satisfaire les besoins en logements contraindront de fait les surfaces dédiées à l’agriculture". "Et qui dit grandes installations agricoles - rurales ou urbaines - dit réseaux adaptés à la gestion des déchets produits ainsi que des ressources nécessaires", insiste-t-il.
Cadre de Ville - Comment surmonter les défis de la ville de demain et notamment l'adaptation au changement climatique ?
Joël Baud-Grasset - La ville de demain et ses capacités d’adaptation aux changements climatiques s’imaginent collectivement. Nombre de communes - petites et grandes -, aidées par des professionnels, s’y emploient depuis quelques années. Les phénomènes récents de canicule, d’inondation, de retrait accéléré du trait de côte… incitent chacun à aller plus vite, plus loin et plus fort.
S’adapter aux changements climatiques demande de mettre en œuvre des actions souvent low-tech. Nul besoin d’investir systématiquement dans des technologies de type "smart city". Pour lutter contre les îlots de chaleur urbain, nous savons que la nature en ville (et autour des villes) est notre meilleur rempart. La gestion alternative de l’eau est son corollaire. La désimperméabilisation et la renaturation des sols doit devenir l’un des supports. Cela implique bien plus un changement de culture de la ville que des investissements très lourds financièrement. La nature fait baisser la température, agit contre la pollution et les particules fines, peut contribuer à l’isolation thermique des bâtiments, améliore le cadre de vie et la santé des citadins, favorise le retour de la biodiversité…
En revanche, lui accorder davantage de place, et ce de manière significative, nécessite de repenser le paradigme de la densité. Nous sommes à l’heure des choix.
S’adapter, c’est également construire et organiser la ville autrement. Au-delà de la lutte contre les passoires thermiques, il faut convoquer le bioclimatisme, l’utilisation de matériaux plus efficaces et plus sobres, de véritables politiques publiques de mobilités douces et actives. La voiture individuelle ne doit plus avoir la même place que par le passé. Ce n’est plus tenable.
Enfin, la ville ne peut pas se penser sans son territoire environnant, son hinterland. Faire davantage appel aux énergies renouvelables implique que urbain et rural coopèrent. Il en est de même pour les circuits courts, le développement de filières de production plus sobres, les politiques de déplacement, les systèmes de livraison. S’adapter, c’est travailler ensemble.
CdV : En quoi les CAUE peuvent-ils accompagner ce mouvement ? Dans quelle mesure et comment doivent-ils transformer leur organisation, leur métier pour cela ?
J. B.-G. - Le réseau des CAUE - composé de quelque 1 200 professionnels du cadre de vie - accompagne les élus locaux, les techniciens territoriaux, les services de l’État en les sensibilisant à ces enjeux territoriaux et sociétaux. Nous sommes quotidiennement sur le terrain.
Le conseil CAUE intervient le plus en amont possible, que ce soit en matière d’urbanisme pré-opérationnel ou lors de l’élaboration de documents de planification (PLUI, Scot, PCAET, etc). Les CAUE les amènent à penser un projet territorial qui réponde à des objectifs de qualité architecturale, urbaine, paysagère. Les enjeux environnementaux au sens large : transition énergie, adaptation aux changements climatiques, gestion des risques, prise en compte de la biodiversité et de la trame verte et bleue… prennent une place de plus en plus importante dans nos métiers. Le réseau travaille et échange sur ces thèmes avec les bureaux d’études, les aménageurs, les bailleurs, les professionnels du BTP.
Nous faisons en sorte par ailleurs que les professionnels des CAUE se forment de plus en plus aux enjeux du changement climatique. Nous y travaillons avec différents partenaires, tels que l’Ademe et l’Agence française pour la biodiversité.
Les CAUE sont en outre en contact direct avec les particuliers. Ils informent et sensibilisent le public. Ils conseillent les habitants et les usagers dans leurs projets de construction ou de rénovation. Cette double entrée - collectivités et particuliers - constitue une spécificité et une richesse unique dans le paysage institutionnel français.
CdV - Pourquoi être partenaire des Entretiens du Cadre de Ville ? Quels thèmes retenus au programme vous interpellent particulièrement et pourquoi ?
J. B.-G. - Il nous est apparu évident de devenir partenaire des Entretiens du Cadre de ville. C’est un lieu de rencontres et d’échanges entre les professionnels - ceux qui font la ville - et les décideurs - ceux qui définissent le projet politique et stratégique. L’urgence est là. Nous devons tous travailler dans le même sens.
Plusieurs thématiques suscitent notre intérêt cette année encore, qu’il s’agisse de "La ville résiliente : comment optimiser rafraîchissement, gestion de l’air et de l’eau ?" ; "Foncier commercial : les stratégies de reconquête se mettent en place" ; ou encore "Urbanisme agricole, urbanisme agro-écologique : intégrer la fonction alimentaire".
En tant qu’agriculteur, je suis naturellement particulièrement sensible à cette dernière thématique. L’agriculture revient au goût du jour en ville. Il y a une place pour les fonctions agricoles et alimentaires en ville. Des relations d’interdépendance se construisent entre villes et territoires périurbains et ruraux proches, via l’engouement suscité notamment par les circuits courts. Ce mouvement est passionnant.
Pour autant, il faut demeurer vigilant à l'égard des fausses bonnes idées et des actuelles limites. La pression foncière est forte et les difficultés rencontrées par certains élus locaux pour satisfaire les besoins en logements contraindront de fait les surfaces dédiées à l’agriculture. La pollution de l’air (et de l’eau) condamne les fruits et légumes les plus fragiles des écosystèmes. Et qui dit grandes installations agricoles - rurales ou urbaines - dit réseaux adaptés à la gestion des déchets produits ainsi que des ressources nécessaires.
Les bénéfices environnementaux des fermes urbaines peuvent être nombreux (îlots de fraîcheur, biodiversité urbaine, lutte contre l’érosion des sols, lutte contre les inondations, etc.), mais certains systèmes nous demandent de relever de nouveaux défis. Les systèmes d’hydroponie, ou d’aquaponie impliquent des besoins énergétiques importants. L’eau devient rare et la compétition d’usage avec l’eau potable est sensible.
Qu’il s’agisse d’agriculture urbaine, d’adaptation aux changements climatiques, de transition écologique au sens large, l’un des maîtres mots sera la sobriété. L’eau, la terre, l’air, l’énergie… sont des biens rares et convoités. Il conviendra d’en faire un usage modéré et réfléchi.
Propos recueillis par Lucie Romano le 3 septembre 2019