A l'usage unique de
Les projets de loi se préparent. Jean-Baptiste Butlen, directeur de l'aménagement durable au ministère de la Transition écologique, revient sur la batterie de mesures engagées pour réduire le rythme d'étalement urbain de 50% dans les 10 prochaines années, conformément aux propositions de la convention citoyenne. L'aide à la relance de la construction durable (ou aide aux "maires densificateurs") et un fonds pour le recyclage des friches ont été annoncés dans le plan de relance. Une définition de l'artificialisation des sols se dessine, en référence à la notion "d'atteinte à la fonctionnalité des sols". Par ailleurs, le renforcement et l’extension des EPFL et EPF d'Etat seraient encouragés.
Jean-Baptiste Butlen, directeur de l'aménagement durable au ministère de la Transition écologique (DGALN/DHUP)
Propos recueillis par Rémi Cambau - 18 septembre 2020
Quelles ont été les conclusions du groupe de travail "sobriété foncière" ?
Le plan biodiversité, dévoilé en 2018, fixait l'objectif de Zéro artificialisation nette des sols (ZAN), une recommandation également portée par la Commission européenne dans sa "feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources", publiée le 20 septembre 2011.
En France, un groupe de travail partenarial a été réuni dès juillet 2019 sous l’égide des trois ministres en charge respectivement de l'écologie, de l'urbanisme et de l'agriculture. Il s'est réuni 5 fois jusqu'en juillet 2020. Plusieurs rapports ont été examinés : celui du CGEDD, de France Stratégie et du Comité pour l'économie verte.
Ce groupe de travail, qui a remis ses conclusions début juillet 2020, avance une dizaine de mesures, suivant trois axes : définir de nouveaux modèles d'aménagement durable (par la définition et l’observation de l'artificialisation, mais aussi l’innovation en faveur de formes urbaines sobres et désirables), maîtriser l’étalement urbain, et accompagner la revitalisation et le recyclage des surfaces déjà artificialisées.
Justement, la définition de artificialisation est fortement débattue. A quel consensus avez-vous pu aboutir ?
Depuis la loi SRU et les lois Grenelle, l’enjeu de sobriété dans la consommation des espaces a été progressivement intégré dans le code de l’urbanisme. La loi Alur a réaffirmé l’objectif de réduction de la consommation d’espace et imposé une justification renforcée de la consommation de surfaces. La loi Elan a inscrit l’objectif de lutte contre l’étalement urbain dans les principes généraux de l’urbanisme, qui s’imposent aux collectivités comme à tout acteur de l’aménagement. Pourtant, Il n’existe aujourd’hui aucune définition de l’artificialisation des sols dans les textes nationaux.
Au niveau européen, se sont succédé la stratégie de 2006 de la Commission sur la protection des sols, un projet de directive pour la protection des sols, une communication sur la sobriété des ressources naturelles en 2011, sans proposer de définition...
Les rapports remis au gouvernement, dans le cadre du groupe de travail, ont questionné la définition dite conventionnelle, issue de l'Observatoire de l'évolution des espaces naturels, agricoles et forestiers. Cette définition procède d'une vision extensive de l'artificialisation, incluant notamment les parcs urbains.
France Stratégie, dans son rapport de juillet 2019, désigne comme "artificialisés les sols qui ne sont pas des espaces naturels, agricoles ou forestiers". Comme l’auteur du rapport le souligne lui-même, "cette définition n’en reste pas moins imparfaite, car elle revient à comptabiliser pareillement des processus d’artificialisation distincts dans leur nature comme dans leurs impacts - processus qui vont de la transformation d’une terre agricole en parc urbain à l’imperméabilisation totale de cette terre par la construction d’un parking goudronné".
Il semble au demeurant réducteur d’appréhender le phénomène d’artificialisation par le simple constat de "l’extension de la tâche urbaine". Ce serait ignorer le phénomène de mitage, et nier l’existence d’espace de nature "en ville".
Le groupe de travail s'est saisi de la question. L'ensemble des acteurs consultés plébiscitent une définition simple, intelligible pour tous, et facilement mesurable. A une approche binaire, les acteurs préfèrent une définition qui appréhende le degré "d’atteinte à la fonctionnalité des sols". Ils recommandent également que cette définition valorise les espaces de nature en ville et les surfaces non imperméabilisées, rejoignant en cela la proposition de la Convention citoyenne pour le climat.
"Les 150" ont en effet donné leur position dans leur rapport remis en juin au président de la République : "Nous entendons par artificialisation des sols, toute action qui consiste à transformer des terrains de pleine terre (espaces naturels, jardins et parcs publics de pleine terre, terres agricoles, forêts...) en terrains à construire, en infrastructures (voiries, ouvrages d’art, parkings...) ou en espaces artificiels (terrains de sports, chemins et chantiers, espaces verts artificiels)".
A la demande de l’administration, le Cerema a remis des rédactions à la ministre déléguée au Logement Emmanuelle Wargon, pour approcher au plus près cette notion d'artificialisation. Il reste encore des questions à traiter, notamment la mesurabilité du degré d'artificialisation : le Scot d’Arcachon constitue à ce titre un territoire pilote dans le cadre du déploiement de l’observatoire national de l’artificialisation.
Où en est l'élaboration des mesures de lutte contre l'artificialisation ?
Le groupe de travail a formulé des propositions visant à maîtriser l’étalement urbain dans les documents de planification, singulièrement les Sraddet, ainsi que le Sdrif, le Padduc et les SAR, ainsi que dans les documents et règles d’urbanisme.
L'hypothèse consisterait à inscrire dans les règles opposables des documents de planification régionale une trajectoire du rythme d'artificialisation, qui serait transcrite ensuite dans les Scot, les PLU et les cartes communales par le jeu des mises en compatibilité.
D’aucuns ont proposé de renforcer l'évaluation environnementale des projets pour éviter, réduire et compenser toute nouvelle artificialisation, au moins pour les projets déjà soumis à évaluation environnementale. Mais cette piste n’est pas consensuelle, en ce qu’elle ne viserait que les aménagements d’envergure, et supposerait de s’accorder sur les modalités de compensation à l’échelle d’un projet. Les inspections (CGEDD, CGAAER) réfléchissent à clarification des textes, visant une meilleure articulation des différentes obligations de compensations (environnementales, agricoles, forestières ….).
L’administration se nourrira également dans les prochains jours des échanges avec la Convention citoyenne pour le climat.
Peut-on s’attendre à un volet fiscal de cette politique ?
Il est en général plus coûteux et plus complexe pour l’aménageur de reconstruire la "ville sur la ville" que d’artificialiser de nouvelles surfaces, en raison des coûts supplémentaires d’acquisition du foncier, de démolition et de dépollution, des temps de réalisation plus longs, et des provisions susceptibles de couvrir les aléas afférents …
Le levier fiscal ne pourra seul inverser cette tendance. Toutefois, le groupe de travail a proposé des mesures visant à organiser des abattements en faveur du recyclage ou de la revitalisation urbaine - par exemple par une modulation de la taxe d'aménagement, ou encore un abattement sur les plus-values immobilières, abattement déjà organisé pour les surélévations.
Les propositions conduisant à renchérir la fiscalité des projets porteurs d'une nouvelle artificialisation n’étaient en revanche pas consensuelles dans le groupe de travail.
La marche des territoires vers la sobriété foncière ne va pas de soi. Comment le gouvernement pense-t-il les accompagner ? Un "paquet" de mesures semble se dessiner.
Le recyclage des friches, la mobilisation des locaux vacants, et le renouvellement urbain, requièrent une ingénierie qui fait parfois défaut dans les plus petites collectivités. Le renforcement de l'aide en ingénierie est donc particulièrement demandé par les collectivités territoriales. L’extension des EPFL et EPF Etat dont l'action est plébiscitée par les collectivités, pourrait être encouragée. L’extension de l’EPF Lorraine est d’ailleurs engagée.
Au-delà des questions fiscales, les projets de recyclage urbain qui restent déficitaires, malgré les aides existantes de l'Anah, de l'Ademe ou de l'Anru, dans les secteurs dévitalisés et au cœur de petites villes, dans des zones pavillonnaires peu denses, des zones d’activités économiques périphériques obsolescentes, là où il n'y a de marché, ont justifié la création d'un "fonds friche", annoncé dans le plan de relance et doté de 300 millions d'euros sur 2021-2022.
Enfin, le renforcement des dispositifs de contrats entre l'Etat et les collectivités est à l'étude. Il s'agirait de conforter la portée juridique des PPA et ORT, dans la mesure où ils contribuent à la sobriété foncière. L'idée a été formulée par le groupe de travail sur les friches. L'Etat a écouté les acteurs, et il en ressort aujourd'hui les mesures les plus consensuelles.
Sans présager des arbitrages du gouvernement, le projet de loi "Convention citoyenne pour le climat" pourrait porter certaines de ces recommandations du groupe de travail. Dans l'esprit général, elles sont plutôt convergentes avec les 13 propositions formulées par les citoyens sur l’artificialisation des sols. Le projet de loi se prépare en concertation avec les 150, avec l'objectif annoncé par la ministre de la Transition écologique d'un examen début 2021 au Parlement.
Comment mettre en œuvre les annonces faites par Barbara Pompili après le conseil de défense écologique en juillet ?
La réunion du CDE a acté une série de décisions. Celle qui donne son sens aux autres est l'objectif de réduire le rythme d'artificialisation de 50% en dix ans. Le législateur sera invité à l'intégrer dans les dispositions du code de l'urbanisme, et dans les schémas de planification régionale. En effet, il ne s'agit pas d'appliquer la mesure de façon uniforme pour toutes les communes, mais de bien la territorialiser.
Deuxième mesure : le moratoire sur de nouvelles surfaces commerciales conduisant à une nouvelle artificialisation en périphérie. Sans délai, une circulaire aux préfets leur demande une vigilance renforcée quant à ces projets. Une réflexion va maintenant s'engager sur les conditions d'octroi des autorisations d'exploitation commerciale.
Troisième mesure : le gouvernement a annoncé le déploiement d’un outil d’aide à l’inventaire des friches développé par le Cerema, baptisé Cartofriches. En miroir de la création du fonds "friches".
Comment sera calculée l’aide à la relance de la construction durable ?
Les modalités de calculs de cette aide ne sont pas encore complètement arbitrées. Il pourrait s’agir d’une aide budgétaire forfaitaire pour tous les mètres carrés de logements dépassant un seuil de densité fixé au niveau national. Ce seuil serait différent selon des catégories de communes définies en fonction de la densité existante et des caractéristiques du parc bâti (taux de vacance et de résidences secondaires notamment). Les aides seraient calculées de manière automatique, à partir des données bancarisées dans le logiciel Sitadel relatives aux permis de construire autorisés entre septembre et août.
Une enveloppe de 350 millions d'euros a été arbitrée sur les deux années 2021-2022. Il s’agit d’encourager les maires dans leur effort de constructions sobres, par une aide contribuant notamment au financement des équipements et espaces publics nécessaires pour que la ville dense soit aussi désirable.
Des mesures du plan de relance ciblent également les friches urbaines et industrielles. Mais aussi l’innovation. Pouvez-vous les rappeler ?
Le "fonds friches", doté de 300 millions d'euros, prévoit de subventionner des projets de recyclage de friches dans le cadre de projets d’aménagement urbain ou de relocalisation d’activité. Les projets de revitalisation des cœurs de petites centralités ou de périphéries urbaines seraient également éligibles. Enfin, l’Ademe organise un appel à manifestation d’intérêt en faveur du recyclage des friches polluées.
Dernière chose, le plan de relance soutient l'innovation urbaine. Il prévoit l'ouverture d'une quatrième tranche du Plan d'investissements d'avenir, un PIA 4, avec un volet transition écologique, relance verte, comprenant l’innovation pour la ville durable. Il pourra accompagner des projets pionniers, démonstrateurs de formes denses et désirables.