Pour vous renseigner sur Cadre de Ville,
téléphonez au 01 40 26 14 66,
ou écrivez nous.

A l'usage unique de

Copyright 2004-2024 Cadre de Ville
Diffusion restreinte
01 septembre 2021

Le Club Ville de Demain alerte sur la situation fragile des maires de villes moyennes

"Il faut dépasser les seuls cœurs de ville". Plébiscitées par les Français, mais fragiles, comment stabiliser un réseau de 300 villes moyennes articulé avec le maillage métropolitain et appuyé sur la maille des petites villes ? Outre un schéma national donnant une cohérence à l'aménagement du territoire, Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly et président du Club, et Loïc Tribot la Spière, fondateur du club, préconisent de lever une série d'obstacles, et lancent une alerte. Le club a entamé un "tour des villes" en 2021, qui a déjà transité par Biarritz, Bourges, Cannes, Clermont-Ferrand, Roubaix et Nevers, dont les maires, porteurs de stratégies affirmées, pointent les blocages qui les entravent, et la fragilité du tissu social. Il donne rendez-vous le 14 septembre à Sceaux, et le 28 septembre aux Sables-d'Olonne.

Le maire de Neuilly, Jean-Christophe Fromantin, élu conseiller départemental ce printemps 2021, s'engage en conséquence dans les institutions publiques avec l'ambition d'intervenir dans les questions d'aménagement du territoire francilien, mais aussi à plus grande échelle. Dans cet esprit, en effet, il est rentré au conseil d'administration d'Haropa, port autonome unique de l'Axe Seine, en même temps qu'il intégrait celui de l'établissement public local Paris La Défense, mais aussi l'établissement interdépartemental entre les Hauts-de-Seine et les Yvelines.

Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly, dans son bureau

Fromantin_bureau.jpg

Le maire de Neuilly-sur-Seine avait certes eu l'occasion de s'élever au-dessus des seules questions de la petite couronne parisienne, lorsqu'il fut chargé de piloter une candidature française à l'organisation de l'Exposition universelle en 2025 - qui se tiendra finalement à Osaka.
En avril 2021, après les élections municipales, il défend la structuration d'un réseau de villes moyennes, à la présidence du club Ville de Demain. Il lance en mars 2021 un blog villesmoyennes.org, aux côtés de Carole Delga, Xavier Bertrand et Hervé Morin, sur la base d'une étude Kantar de novembre 2020.

Un tour des villes

Parallèlement, et dans la logique de ses "dix propositions" faites en juillet 2020, il soutient l'organisation tout au long de l'année 2021, d'un Tour de France des maires de villes moyennes par le Club Ville de Demain, et ce, avec la complicité de Loïc Tribot la Spière, fondateur et animateur de l'ONG Internationale CEPS (le Centre d'étude et de prospective stratégique) experte notamment dans les questions de Défense et de Sécurité. Ce 2 juillet 2021, les conversations de Gouvieux réunissaient à l'hôtel de Lauzun, avec le soutien de la Ville de Paris, la 11e rencontre annuelle des acteurs de la défense.

Jean-Christophe Fromantin s'exprime toujours comme l'entrepreneur qu'il est. Maire-entrepreneur, pour lui et pour Loïc Tribot la Spière, tous les maires le sont... "Les élus ont de la conviction et ils construisent avec ce qu'ils ont, envers et contre tous", pour le maire de Neuilly. Mais, selon lui, les élus souffrent de trois blocages : la complexité territoriale, d'abord ("on perd beaucoup de temps dans un maelström qui oblige à une dépense d'énergie au détriment des actions constructives"). Jean-Christophe Fromantin déplore de devoir se faire élire au département, à la région, à l'intercommunalité "pour être dans le coup". "Pratiquement plus aucune décision ne se prend tout seul", dit celui qui se démultiplie dans les différents niveaux administratifs et divers conseils d'administrations d'établissements publics.

Le critère de l'habitat devient central pour les Français

"On ne vit plus pour travailler relève le maire de Neuilly, on travaille pour vivre". Pour lui, chacun a un endroit où il se projette, indépendamment des contingences.
Petit à petit les contingences se lèvent, qui imposaient de vivre là où il y avait du travail.
"On peut de plus en plus approcher son idéal de vie. La génération de la révolution industrielle est marginale dans le mouvement de l'humanité. Le tropisme terrien de sociétés qui ont vécu de la terre est très solide."
La liberté de vivre là où on a envie de vivre, conformément à son propre idéal de vie, rattrape chacun à un moment. Tout va dans ce sens. "On voit combien il n'est plus nécessaire d'aller vers les services. Les services viennent à nous. Le travail vient à nous. L'individu retrouve sa liberté de choix. "

La ville, le village, la concentration urbaine se construit à l'aune de cette liberté de chacun, défend Jean-Christophe Fromantin. "La Ville ne peut être que la ville où l'on a envie de vivre, pas la ville que les politiques, les urbanistes, les architectes, auront décidé de créer pour nous. "

Pour le maire de Neuilly, le défaut de services dans les villes et territoires intermédiaires et dans les petites villes crée autant d'insatisfaction que l'injonction de vivre dans la ville dense, dans des espaces trop petits. Selon lui, à défaut d'un réinvestissement ordonné des territoires, une nouvelle crise sociale menace.

Cette réflexion réinterroge aussi une ville comme Neuilly-sur-Seine. "Neuilly est au coeur d'une métropole, et la fonction métropolitaine va être de plus en plus importante". La Ville de Jean-Christophe Fromantin trouve sa place sur l'axe historique du Louvre et de l'arc de triomphe de l'Etoile - et le maire compte bien sur l'effacement du périphérique parisien - "trop proche du centre de la métropole" - pour intégrer sa commune dans une continuité urbaine fluide et durable équilibrée, accrochée à la Seine - il vient de rentrer au conseil d'administration d'Haropa.

Le maire de Neuilly pointe également "la perte d'autonomie fiscale" - un cheval de bataille des associations d'élus locaux que l'on retrouve très précisément dans les 21 propositions faites par la commission que préside François Rebsamen. Ce dernier demande que l'Etat assume une compensation à 100% de l'exonération de la TFPB, la taxe sur le foncier bâti, pendant 6 ans. Aujourd'hui, pour accompagner la production de logements sociaux, l'Etat assure une compensation de 3% pendant 20-25 ans.

Les élus membres de la commission Rebsamen témoignent que, depuis la suppression de la taxe d’habitation, les maires bâtisseurs sont pénalisés par les difficultés de financement des équipements nouveaux. Et chiffrent la perte de marge de manoeuvre. Pour 1 000 logements, une municipalité pouvait avant la réforme de la taxe d’habitation, compter sur une ressource annuelle de 440 000 euros, contre aujourd'hui 93 000 euros, tous mécanismes confondus.

"Vous n'avez plus de dynamique de ressources, seulement des dynamiques de dépense", renchérit Jean-Christophe Fromantin, pour qui , si les maires parviennent à maîtriser les dépenses, en revanche, ils n'ont pas de prise sur leur "chiffre d'affaires", qui est plafonné. "Aucun chef d'entreprise ne saurait mener sa barque dans de telles conditions".

"Les collectivités locales sont pauvres"

La commission Rebsamen, interrogée sur la relance de la construction de logements, faisant un constat comparable, propose, outre une compensation concentrée de la TFPB, une évolution de la part de la DGF (dotation globale de fonctionnement) qui serait corrélée avec l’augmentation de la population.

"Les collectivités sont pauvres", déplore Jean-Christophe Fromantin, pour qui rien, dans la loi 3DS (ex-4D) ne vient changer cet ordre des choses. "Au contraire, on renforce les pouvoirs du préfet dans le volet déconcentration. L'Etat local comme on l'appelle est renforcé." Les propositions de François Rebsamen conduiront-elles le gouvernement à retoucher la loi adoptée par le Sénat avant son passage à l'Assemblée ? Les membres de la commission s'attendent à retrouver de la souplesse, comme celle qui a pu être trouvée dans les procédures réglementaires liées à la préparation des JOP 2024. Ou encore réduire les délais de révision des PLU, et aider fortement les communes à dématérialiser l'instruction des permis de construire, assouplir les cnditions de changement d'usage des locaux. La version définitive du rapport sera remise le 15 septembre au Premier ministre.

"On ne sait pas où l'Etat veut aller"

Cependant, la demande d'un rapport à François Rebsamen, pour répondre aux alertes des professionnels de la construction, n'est qu'un plan, un programme, parmi d'autres. Jean-Christophe Fromantin et Loïc Tribot la Spière déplorent "l'absence de visibilité et de vision d'ensemble, d'une vision nationale de l'aménagement du territoire" qui mettrait en cohérence l'ensemble des chantiers, plans et programmes initiés par l'Etat.

Loïc Tribot la Spière, délégué général du Centre d'études et de prospectives stratégiques

Tribot_dls.png

Le maire de Neuilly synthétise. "Dans une géographie nationale où on ne sait pas où l'Etat veut aller, où les dynamiques de recettes des collectivités ont été supprimées, les élus évoluent dans un labyrinthe dense et compliqué. Heureusement, les élus locaux sont créatifs, mais ils s'épuisent. Il reste l'envie, l'entrepreunariat public, les convictions, l'idéal qui nous anime."

"Un état de saturation" des maires

Dans ce contexte, le projet d'un tour des villes que conduit Loïc Tribot la Spière dans une série de "matinales" d'une heure et demie en vidéo-conférences, vise à rencontrer des personnalités "qui incarnent des mandats électifs sur des espaces territoriaux de proximité reconnus comme essentiels par les Français". "Le tour des villes met en évidence ces femmes et ces hommes maires de villes moyennes "qui sont de véritables entrepreneurs, mais qui rencontrent bien souvent peu de reconnaissance". Les premiers rendez-vous révèlent "un état de saturation" d'élus qui ont accepté de prendre des responsabilités, mais qui manquent de marges de manoeuvre, "engoncés dans un véritable mille-feuilles administratif".. 

L'animateur du CEPS et du club Ville de Demain souhaite lancer un appel. "On voit ce que sont les maires, mais on ne voit pas qui ils sont... le Tour des villes souhaite mettre en évidence ce paradoxe et le faire savoir : accompagnons les maires et aidons-les à lever tous les obstacles qui les empêchent de relever les défis auxquels ils sont confrontés. Il faut secouer les murs de ces villes, mais aussi demander quelle est la place de l'Etat."

Un nouvel aménagement du territoire

Pour les deux hommes, il y a un enjeu à mettre en visibilité les maires, et leur situation : la France se réveillera si elle parvient à optimiser son organisation territoriale, estiment-ils tous les deux. "Certaines villes étaient des capitales régionales et ont perdu leur rayonnement. Quel est leur avenir ? Il va falloir réécrire tout cela."

Nous sommes dans une période d'intermitence relève Loïc Tribot La Spière, qui déplore un défaut de continuité dans les politiques d'Etat. "Et on ne parle que des villes moyennes. Dans les petites villes, le maire n'est que le bouc émissaire."

Jean-Christophe Fromantin renchérit : la situation est difficile dans les plus petites villes, souvent laissées à elles-mêmes, quand l'industrie est partie, la caserne a fermé, la population diminue. Il faut être très convaincu, et les maires ont beaucoup de mérite. "Ils sont les derniers à garder la lumière allumée. Après eux, elle s'éteindra."

Le rebond territorial

Jean-Christophe Fromantin et Loïc Tribot La Spière posent la question à un niveau supérieur : soucieux d'une situation où le laisser-faire de l'Etat domine - l'initiative territoriale est encouragée dans un esprit de différenciation - les programmes d'aide et d'appui.

Mais le rebond existe, croient les deux hommes. "Ces territoires vont repartir - les Français les plébiscitent, veulent retrouver de l'espace, acheter une maison, vivre de façon apaisée. Les choses vont se reconnecter assez vite."
Pour eux, l'Etat est ici coupable d'empilement, d'addition de programmes. "Ce qu'on lui demande c'est de poser un schéma, qui encouragera les dynamiques à reprendre."

Le maire de Neuilly demande que l'on stabilise un réseau de métropoles - "il y en a entre six et huit, mais pas plus" - il plaide pour un deuxième maillage, qui soit un maillage de villes moyennes. Chaque catégorie peut assurer une série de fonctions ou de services, "qui soient des repères dans la géographie française pour les Français".

Un schéma pour répartir les services entre les échelles de territoires

"Je demande surtout à ce qu'on stabilise ces deux réseaux. Qu'ils portent chacun une ambition. Logistique, politique, économique, de connexion à la mondialisation pour les métropoles, de services à la population pour les villes moyennes."

Jean-Christophe Fromantin se réfère à la hiérarchie des normes de services établie par l'Insee : norme supérieure, norme intermédiaire et norme de proximité. "Cette dernière est la norme de base, celle du village avec sa boulangerie ou son café. La norme supérieure représente 198 services."

Le maire de Neuilly voudrait démontrer que les 198 services de la norme supérieure pourraient être développés dans les villes moyennes. "Certes, on ne pourra jamais installer certains équipements dans une ville moyenne. Mais relocalisons certains services, dématérialisons certains autres, et concevons les services de villes moyennes comme des services satellites de ceux des métropoles. Ces trois types d'actions permettront demain, j'en suis persuadé, de donner accès dans 300 villes moyennes aux services auxquels on a seulement accès dans les grandes villes et métropoles. "

"On ne va pas encore dans ce sens, estime l'élu. Action Cœur de Ville est un système de financement pour refaire les centres-villes, mais n'a pas été intégré dans un projet d'ensemble. Action Cœur de Ville est une composante, mais pas synchrone avec toutes les politiques publiques. Ni avec Petites villes de demain, un plan intelligent. Mais une petite ville de demain prend du sens si elle est à un quart d'heure d'une ville moyenne. Et une ville moyenne a un avenir si elle est à moins d'une heure et demie d'une métropole."

Et d'interroger : "Si vous investissez 30 millions mais que la SNCF décide de fermer la gare ? Si vous mettez 20 millions dans un centre avec des acteurs privés, mais que l'Agence de santé décide déplacer la maternité à 80 kilomètres... La politique de l'Etat manque d'isochronie. "

Si on choisit de bâtir un réseau de 300 villes moyennes, il faut un accord pour que le train reste, l'habitat, les services publics, qu'on sanctuarise dans ces 300 villes.
Il faut créer une cohérence d'ensemble. Aujourd'hui des initiatives plutôt bonnes, comme Action Coeur de Ville, Petites Villes de demain, Campus connectés, Territoires d'industrie, ne sont pas intégrées dans un schéma national cohérent avec les politiques de transport ou de fret, ou de vocation économique.

"La région ne peut pas tout faire. Elle ne peut pas relier ces territoires par les grands ports maritimes, elle ne peut pas porter des contrats de plan s'ils ne s'intègrent pas dans une vision générale que tout le monde partage." Poue le maire, "il manque une impulsion de l'Etat sur un schéma global. Aujourd'hui, l'Etat n'a aucune vision de l'organisation du territoire national." Rémi Cambau