A l'usage unique de
SNCF Immo se prépare à tester avec la SGP, autour des RER métropolitains, un nouveau modèle de financement. "On ne peut pas laisser les crises sans réponses, et pour cela il faut changer de modèle pour construire la ville." Katayoune Panahi, en amont des Entretiens du Cadre de Ville du 17 octobre, annonce la mise en ordre de marche de la direction immobilière et foncière du Groupe SNCF dont elle a la charge, dans un contexte nouveau, où, dit-elle avec force, "il faut inventer des modèles disruptifs". "Nous n'avons plus de temps à perdre, nous sommes en train de changer de monde." Les projets des "SERM" ou RER métropolitains seraient le support de démonstrateurs d'un nouveau modèle de financement. Le gouvernement doit encore arbitrer le nombre exact de ces RER, promis par Emmanuel Macron, "entre 10 et 15".
Katayoune Panahi, directrice de SNCF Immo, Groupe SNCF
Vers un nouveau modèle de valorisation foncière des projets urbains à mission
La méthode de calcul des externalités positives d'un investissement de plantation boisée d'un hectare sera préentée aux Entretiens du Cadre de Ville, le 17 octobre, par Charlotte Girerd, directrice Transition, RSE et Innovation, SNCF Immobilier,
> Programme et inscription : Ce que sera la ville de demain apparaît déjà : Les 8e Entretiens du Cadre de Ville - 17 octobre 2023
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Propos recueillis par Rémi Cambau
Parmi les actions menées par SNCF Immo pour décarboner son patrimoine que vous chiffrez à 30 000 hectares et 25 000 bâtiments, en pleine mutation, vous poursuivez votre engagement de libération de foncier pour le logement. Ce qui vient s'ajouter à la décarbonation de vos actifs, notamment de votre empreinte tertiaire, à la végétalisation de vos fonciers, au développement de fermes photovoltaïques... Pour mener ce programme de libération foncière, quels montages privilégiez-vous ? A qui allez-vous céder ces terrains ?
Katayoune Panahi. La charte de mobilisation du foncier ferroviaire a été signée en mai 2021 par le président de la SNCF Jean-Pierre Farandou avec Emmanuelle Wargon, ministre du logement. A ce jour, nous avons identifié des fonciers à céder qui pourraient porter 19 000 logements [voir le détail des fonciers identifiés NDLR]. Pour chacune des opérations visées dans la déclinaison régionale de la charte nationale, déjà effectuée dans 5 grandes régions, nous avons suffisamment avancé dans la conception des opérations pour être capables de dire à peu près combien de logements cela peut représenter. Sans trop gros aléas, nous devrions être à même de céder les fonciers avant l'échéance de 2025. Ensuite, ce sera aux opérateurs d'agir. Nous ne maîtrisons pas forcément toute la chaîne.
En mode opératoire, vous êtes parfois co-promoteur. Tous les montages ne sont pas encore arrêtés, mais vous ne vous interdisez rien ?
Non, en effet. Pour les montages qui conduiront à la construction de ces logements, tous les cas de figure sont envisagés. Sur certains fonciers, c'est notre filiale d'aménagement et de promotion Espaces Ferroviaires qui achète et va aménager l'opération. Parfois nous cédons le foncier à un autre aménageur, à un établissement public foncier, ou à une collectivité. Et parfois nous montons des appels à manifestation d’intérêt auprès des promoteurs, comme ce fut le cas pour les Cathédrales du Rail à Saint-Denis, qui viennent d'être attribuées au groupement Eiffage Aménagement/Aire Nouvelle.
Quand l'aménagement des fonciers suppose une grande complexité de reconstitution-libération, ce qu'on appelle des opérations-tiroirs, lorsqu'il faut reconstituer certaines fonctionnalités ferroviaires sur un bout de parcelle pour en libérer un autre, en général c'est Espaces Ferroviaires qui va être aménageur.
C'est le cas du quartier des Messageries à Paris dans le 12e, où nous avons démoli un immeuble du tri postal et où il est nécessaire de reconstruire le centre d’avitaillement des trains, ou à Toulouse Matabiau Quai d'Oc, où nous allons d'abord construire un bâtiment tertiaire pour y regrouper les équipes de plusieurs entités du Groupe SNCF, puis libérer des sites qui vont pouvoir être démolis et leurs fonciers réutilisés. Et je ne vous parle que de bâtiments. Dans certaines autres opérations, il faut déplacer des caténaires ou des rails, des équipes qui gèrent la maintenance des voies ferrées, tout ce qui nécessite un dialogue et une gouvernance interne au sein du groupe, notamment pour faire converger les calendriers.
Sur les Cathédrales du Rail, nous avions tout désaffecté, il n'y avait plus pas de fonctionnalités ferroviaires à reconstruire, et nous pouvions céder l'ensemble complètement.
Vos projets sont-ils aujourd'hui impactés par la relative faiblesse de la filière de la promotion immobilière ?
Dans toutes nos opérations de valorisation, nous sommes impactés, de la même manière que tous les autres acteurs du monde de l'immobilier.
Nous sommes confrontés au fait que l'acte de construire pose davantage de problèmes. Les maires y sont moins incités comme autrefois lorsqu'il y avait une corrélation entre la fiscalité et la construction. Je pense à la suppression de la taxe d'habitation, et à la perte de contrôle sur la CVAE. Un maire qui veut construire doit convaincre des habitants parfois réticents, trouver les financements des équipements publics, mais ne maîtrise plus les recettes fiscales.
Autre élément de contexte. Quand on veut réaliser de opérations d'aménagement, les collectivités, qui relaient les aspirations de la population, nous demandent de construire plutôt du logement, et du logement social, associé à des opérations de renaturation et végétalisation pour répondre à l'urgence climatique. Voilà les deux nouveaux drivers : l'urgence climatique et la crise sociale. Mais comme notre modèle économique de l'aménagement repose sur le paradigme de la période de reconstruction d'Après-Guerre, la constructibilité, on a du mal à boucler le triptyque social-écologie-économie.
On y arrive, comme tous les acteurs, parce qu'on va rogner sur les marges, du promoteur, du constructeur, de l'aménageur, et la collectivité va faire un effort de son côté. Tout ceci prend un temps incommensurable, qui est de l'argent, parce qu'il faut faire le portage foncier pendant ce temps. Et puis surtout, le temps nous est compté, si l'on veut répondre à l'urgence climatique et à la crise du logement. Il faut sortir les opérations rapidement.
Enfin, il arrive parfois que le temps s'allonge un peu plus encore, en période d'élections, lorsque changent des équipes municipales, qui veulent revoir les projets qui avaient été lancés, avec une nouvelle orientation urbaine et un nouveau PLU.
L'analyse du contexte nous conduit à ce sujet de la vitesse. Il faut qu'on arrive à passer à la vitesse supérieure. Si on continue à faire avec les modèles du passé, on peut arriver à débloquer opération par opération, mais dans un travail de dentelle qui prend un temps fou. Il faut donc repenser de façon disruptive les modèles, notamment en prenant en compte la création de valeur foncière environnementale et sociale.
Comment qualifieriez-vous la situation ?
Tout le monde s'accorde pour dire qu'on est face à une crise dont les fondamentaux sont à la fois conjoncturels et structurels. Conjoncturels notamment du fait de l'évolution des taux d'intérêt, après une chute des prêts immobiliers de près de moitié en dix ans pour atteindre les niveaux les plus bas.
Mais surtout, on est en train de changer de monde. On le voit par exemple avec le déploiement du télétravail, qui illustre un changement dans le rapport au travail. Il va falloir reconsidérer de façon structurelle les implantations tertiaires.
"Nous sommes entrés dans une mutation d'ampleur inédite. Les modes de vie changent, les demandes ne sont plus les mêmes. Je compare ce qui est en train de se passer à la période du lendemain de la Seconde Guerre Mondiale"
Nous sommes entrés dans une mutation d'ampleur inédite. Les modes de vie changent, les demandes ne sont plus les mêmes. Dans une certaine mesure, je compare ce qui est en train de se passer à la période du lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, quand l'ensemble des nations se sont accordées pour établir un nouvel ordre mondial, essentiellement basé sur la levée des barrières douanières et commerciales, pour permettre le développement économique qui devait permettre de garantir les conditions de la paix. D'où la CEE, l'accord du GATT qui préfigure l'OMC, et l'avènement de la mondialisation des flux de personnes, de marchandises, des données, des capitaux.
Le corollaire territorial de cela a été la métropolisation. La mondialisation s'est en effet accompagnée de la désindustrialisation et de l'exode rural dans la plupart des pays occidentaux, puis de la tertiarisation de nos économies, et donc de la concentration des richesses au centre des métropoles, au détriment des périphéries, avec la pression foncière associée. Cette période a produit les formes urbaines que nous connaissons aujourd'hui, avec les centres métropolitains, les zones pavillonnaires, l'étalement urbain.
Nous vivons un retournement. Après 70 ans de mondialisation, on voit le balancier aller dans l'autre sens. On s'interroge sur la relocalisation de nos industries, sur l'indépendance énergétique, sur la décarbonation de nos économies, pour répondre à l'urgence climatique en partie due à la mondialisation qui a multiplié les déplacements. Il y a une véritable évolution des modes de vie, on voit des tendances se dessiner, mais il n'est pas facile de les caractériser de manière certaine, car nous sommes dans une période d'incertitude et de changement.
Certes, on voit bien que l'empreinte tertiaire est en train de se réduire, que les personnes qui se sont retrouvées en périphérie des villes ont besoin d'accéder au centre, soit par le développement de logements abordables - et nous essayons d'y contribuer avec notre foncier -, soit en mettant en place des transports décarbonés, comme c'est le projet des Services Express Régionaux Métropolitains - des SERM ou RER métropolitains. Mais pour tout cela, il va falloir trouver les financements. Pour mémoire, c'est 100 milliards pour rénover et développer l'ensemble du réseau ferroviaire, dont 10 milliards pour les SERM.
"Aujourd'hui on est plutôt sur un urbanisme de la proximité pour retisser du lien entre les centres-villes des métropoles et leur périphérie : par des RER métropolitains, ou en repensant les implantations pour s'adapter aux évolutions des bassins d'habitat et d'emploi"
On est en train de repenser complètement les modèles. Aujourd'hui, on cherche à développer des SERM, quand, après la guerre, le centralisme était tel que Jean-François Gravier a pu parler de "Paris et le Désert français", et que le projet ferroviaire a consisté, dans un urbanisme de la vitesse, à créer et relier les "métropoles d'équilibre" - qui ont reproduit ensuite à leur échelle le modèle centripète national en recréant des fractures avec leur périphérie.
Aujourd'hui on est plutôt sur un urbanisme de la proximité pour retisser du lien entre les centres-villes des métropoles et leur périphérie : par des RER métropolitains, ou en repensant les implantations pour s'adapter aux évolutions des bassins d'habitat et d'emploi.
Mais la ville a toujours de l'avenir devant elle. C'est le lieu de l'intensité relationnelle, une capacité à mutualiser, un effet cluster, des échanges. Cela demeurera. La ville demeurera, mais on n'aura pas forcément besoin d'habiter la ville pour en profiter tout le temps. Ce mouvement va recomposer le territoire, et nous sommes en train de le vivre.
Et cela nécessite une nouvelle donne en matière d'aménagement, qui n'est que le pendant de la nouvelle donne mondiale que j'évoquais, et qui mérite d'être accompagnée par les pouvoirs publics, de manière à réguler les effets pervers qu'on n'a peut-être pas suffisamment régulés dans la période qui a précédé.
SNCF Immo a fait réaliser une étude par le bureau Anthéus, qui démontre que la plantation d'un hectare à Paris, cours de Vincennes, a une valeur certaine : elle augmente la valeur des biens immobiliers attenants, stocke 1 600 TEQ CO² difficiles à chiffrer en l'absence de prix de référence du carbone, économise de la climatisation des logements, piège les particules fines, économise des volumes de traitement d'eaux pluviales, et fait faire des économies à la Sécurité Sociale. Tous ces impacts ont été valorisés et seront présentés aux Entretiens du Cadre de Ville le 17 octobre prochain. La valeur RSE pour 1 hectare planté serait de 180 millions d'euros - plus une valeur inestimable pour les habitants. Mais cette valeur peut-elle être intégrée à un bilan d'opération d'aménagement, et si oui, comment ? Et allez-vous le faire ?
Cette étude permet d'objectiver autour d'un cas concret la construction d'un nouveau modèle économique de l'acte d'aménager. Elle permet de s’interroger sur ce qui, aujourd’hui, fait valeur. Qu’est-ce qui compte ? Qu’est-ce qui a de la valeur ? Comment on compte ? Comment capter la valeur générée par la plantation d'un hectare de parc en ville ? On peut parler d'outils. Espaces Ferroviaires est en train de travailler sur un nouvel outil, en partenariat avec Efficacity. Et la méthodologie de l'étude Anthéus pourrait servir d'outil.
Mais je crois qu'aujourd'hui on a surtout besoin de repenser de manière disruptive la fabrique urbaine. Pour concevoir la ville, on doit revoir tous les modèles, et pour commencer les modèles de la chaîne industrielle de la construction, vers la construction bois, le géosourcé, le biosourcé, le hors-site, le circulaire. Les acteurs se sont emparés du sujet et les industriels suivent.
En revanche, sur la partie de valorisation foncière, tant que cette valeur reposera sur la constructibilité, on mettra beaucoup plus de temps à relever le défi social et écologique. C'est ici une question de modèle financier. Les outils peuvent aider à faire des choix d'investissement, mais pour investir, il faut savoir qui finance.
Nous portons ce discours auprès de l'ensemble des acteurs de la ville. Il est plutôt bien perçu et consensuel. On en retrouve un écho dans la feuille de route de décarbonation de l'acte d'aménager.
"La Société des Grands Projets de réseaux métropolitains travaille à la question des financements en prévision des projets de SERM. Or, il est important d’objectiver ce type de travaux par un cas très concret et une expérimentation locale. Ce qui pourrait être fait via des démonstrateurs dans le cadre des travaux menés par le groupe SNCF avec la SGP autour des SERM"
On est au moment où il va falloir que quelqu'un s'empare du sujet et fasse quelque chose. Bien sûr, l'idéal serait que le législateur s'en empare, et c’est dans cet objectif que nous avons engagé une réflexion avec la SGP, un autre acteur concerné par ces sujets de nouveaux modèles de financements, mais aussi d’établissements public d’aménagement, ou de think tanks.
La Société des Grands Projets [chargée des RER métropolitains NDLR] travaille à la question des financements en prévision des projets de SERM, avec les collectivités locales - des collectivités qui sont confrontées très concrètement aux questions de financement. Voyons avec les parties prenantes des projets autour des transports décarbonés comment on va pouvoir avancer vers de nouveaux modèles de financement, intégrant la valeur créée par l'investissement.
Mais il est important, à l’instar de ce que nous avons fait avec l'étude Anthéus, d’objectiver ce type de travaux par un cas très concret et une expérimentation locale. Ce qui pourrait être fait via des démonstrateurs dans le cadre des travaux menés par le groupe SNCF avec la SGP autour des SERM.
Une dynamique est lancée pour déployer ces projets de nouveaux services de déplacement dans et autour les métropoles. Appuyons-nous dessus pour innover.