A l'usage unique de
Le nouveau président du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA), élu en juin 2024, admet que "nous n'avançons pas assez vite" en termes d'adaptation au changement climatique, lorsqu'on l'interroge sur le thème d'ouverture de la journée des Entretiens du Cadre de Ville, le 17 octobre prochain. Le CNOA s'efforce pourtant d'être à l'avant-garde, comme le montre son plaidoyer de 16 propositions qui fixent les grands axes pour construire la ville autrement sur l'ensemble des territoires. Des territoires pour beaucoup sous-dotés en ingénierie territoriale, ce qui freine leur capacité à s'organiser pour anticiper le changement climatique. D'où la communication tous azimuts que mène le CNOA, encourageant les architectes à "s'implanter dans toutes les régions de France" pour aider les élus à "comprendre les enjeux et établir un programme pluriannuel, voire pluri-décennal afin d'adapter le territoire à la nouvelle donne environnementale".
Christophe Millet, président du Conseil national de l'Ordre des architectes© CNOA
Propos recueillis par Juliette Kinkela le 16 septembre 2024
Vous avez été élu président du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA) en juin 2024. Cela fait une vingtaine d'années que vous êtes engagé dans l'institution ordinale. Qu'est-ce qui vous anime ?
J'ai toujours été porté par la richesse des interventions des architectes sur le cadre de vie et sur la qualité des logements, par leur façon d'être stimulés par l'intérêt général, par leur engagement aussi dans la transition écologique. La profession est clairement moteur sur ce sujet. Et pour autant, nous n'avançons pas assez vite... Nous vivons dans une société qui se sert assez peu de ce corps d'architectes alors qu'elle pourrait obtenir beaucoup de ces professionnels compétents, issus de l'école publique et qui respectent une déontologie. Ces dernières années, mon rôle a justement été de démontrer qu'il est possible de résoudre un certain nombre de problématiques dans les territoires grâce à notre écosystème.
La table ronde d'ouverture des Entretiens du Cadre de Ville interrogera les acteurs des territoires sur leur façon d'anticiper l'adaptation au changement climatique. Quels ont été les apports du CNOA en la matière ?
Sous l'ancien mandat de Christine Leconte, nous avons publié un plaidoyer de 16 propositions qui fixent les grands axes pour engager la transition écologique de manière efficace, douce et sereine. Nous y avons ajouté des fiches pratiques pour montrer qu'il existe des territoires pionniers qui ont déjà réalisé un certain nombre de projets reflétant nos mesures. Par exemple, le Costil est un projet expérimental qui favorise une rénovation 100 % locale en Normandie. Nous avons également mis en avant l’école en bois-paille ventilée naturellement à La Selle-Craonnaise (53). L'objectif du CNOA était de montrer la dimension très concrète du plaidoyer et surtout de le territorialiser. Il n'y a pas de solution miracle et uniforme sur tout le territoire français. Toutes les propositions sont adaptables et adaptées pour chaque territoire.
Les élus de ces territoires sont-ils réceptifs aux solutions nouvelles que vous proposez ?
Il y a quelques années, nous avons créé le dispositif "1 maire 1 architecte" avec l’objectif, entre autres, d'engager les collectivités territoriales dans la transition écologique. Les architectes viennent ainsi mettre à disposition des maires et élus locaux conseil, accompagnement et ingénierie territoriale pour réaliser un diagnostic du territoire, les aider à en comprendre les enjeux et établir un programme pluriannuel, voire pluri-décennal afin d'adapter le territoire à la nouvelle donne environnementale. C'est d'autant plus important que la France compte un peu plus de 30 000 maires qui connaissent un déficit en ingénierie territoriale car ces élus n'ont pas la capacité de faire appel, en interne, à des professionnels de l'aménagement du territoire. Un comble quand on sait que l’Ordre des architectes rassemble plus de 30 000 architectes ! C'est pour cette raison que l'Ordre communique pour que de jeunes agences aillent s'implanter dans toutes les régions de France. C'est ainsi que l'on mettra un terme aux déserts d’ingénierie architecturale, urbaine et paysagère.
Quel accompagnement attendre du CNOA en matière de ZAN ?
C'est également le travail des architectes de montrer aux maires le potentiel foncier et bâti dont ils disposent afin de continuer à se développer tout en respectant la loi. Notre programme "Objectif ZAN" interroge justement les collectivités territoriales sur la façon dont elles comptent restreindre leur empreinte sur le foncier disponible. Le prochain mandat municipal sera celui qu'il ne faudra pas rater, il sera le plus engageant en termes de transition écologique.
Plusieurs régions du monde, mais aussi de France, ont récemment connu des catastrophes naturelles majeures. Les immeubles d'habitation n'ont pas été épargnées. Comment les rendre plus résistants ?
Nous avons la chance de vivre dans un pays qui propose un cadre normatif extrêmement complet et bien calibré. Maintenant, des questions se posent, notamment sur les stratégies d'aménagement du territoire. Dans quelles zones faut-il encore habiter ou ne faut-il plus habiter pour s'adapter aux évolutions du climat ? A titre d'exemple, le recul du trait de côte va immerger 450 000 logements et 50 000 locaux d'activités d'ici à 2100. Il s'agit aussi d'adopter une tout autre gestion des sols. Un certain nombre de catastrophes naturelles, notamment les éboulements de terrain et les inondations, sont générées par l'imperméabilisation des sols qui date d'une période où l'urbanisme s'est développé trop vite, sans prendre en compte la nature. Il est urgent de changer de paradigme.
Quelles solutions concrètes proposez-vous ?
Le cadre normatif doit nous aider à construire des bâtiments encore plus solides, fabriqués à partir de matériaux biosourcés, géosourcés et principalement décarbonés, donc sans béton et sans acier tel qu’on les connait aujourd’hui. Tout l'enjeu est de projeter notre travail sur un horizon à 30, 40 voire 50 ans, là où l'économie d'un projet se fait sur 3-4 ans. Des discussions avec les maîtres d'ouvrage s'imposent.
Que répondez-vous à ceux qui se plaignent des normes trop onéreuses ?
Les normes assurent à chaque usager une qualité d'espace équivalente. A mon sens, il faut s'attaquer au problème du foncier car c'est lui qui renchérit le coût de la construction, notamment lorsqu'il est rare et parfois inadapté. On cherche à construire sur des zones géographiques en tension, et portant un risque naturel. Cela dit, il est vrai que les normes peuvent être coûteuses mais elles ont aussi vocation à engager la construction dans la transition écologique.
Diriez-vous que le changement climatique a influencé l'architecture au point de donner une nouvelle dimension à la discipline ?
La prise en compte du changement climatique a fait évoluer l'architecture très vite. Mais nous avons, en France, des architectes pionniers et très engagés. Nous pouvons nous appuyer sur leurs travaux. Certains réalisent d'ailleurs des projets répondant aux enjeux de transition écologique depuis les années 2000, voire avant. Je pense à Philippe Madec, Gilles Perraudin ou Philippe Prost et à d'autres qui ont très tôt construit en pierre ou en bois. Certains travaillent sur la ventilation naturelle pour éviter le recours aux systèmes mécaniques, d'autres encore se concentrent sur la décarbonation en réduisant l'usage du béton ou sur la préservation de l’existant. Ce changement de focale se traduit également par la volonté d'être plus proche de la ruralité et du monde du paysage. On voit ainsi de plus en plus se construire des bâtiments plus petits, plus adaptés, dont les matériaux sont issus de filières locales, et avec des habitants qui sont davantage partie prenante.
Les Métropoles n'ont plus la côte au CNOA ?
En termes de communication en tout cas, nous avons arrêté de mettre le focus sur les métropoles pour mettre en valeur les territoires. Nous accompagnons par exemple le programme du GIP "Les caravanes de la ruralité". En outre, dans le cycle de rencontres "Architectures et territoires", (plus de 26 événements qui se déroulent partout en France hexagonale et en Outre-mer, depuis le 5 septembre, jusqu’au 25 octobre 2024), une grande partie des conférences se tient dans des petites villes ou des villes moyennes. L'objectif est de montrer qu'elles ont la capacité d'accueillir des habitants par une offre de logement existante. Il s’agit de les rendre désirables et attractives sur le volet de l’emploi pour que des ménages s'y réimplantent, ce qui favorisera aussi l'arrivée de nouveaux services publics au bénéfice de ceux qui y vivent déjà.
Selon vous, qu'est-ce qu'être un architecte en 2024 ?
A mon sens, ce qu'il faut retenir, c'est la notion d'engagement. Auparavant, les architectes s'engageaient fortement dans le projet et le geste architectural. Désormais, ils s'impliquent davantage dans la vie politique de l'aménagement du territoire. L'avenir est là, dans l'accompagnement des collectivités territoriales et des habitants en amont des projets. Bien sûr, le travail sur le projet en lui-même reste très important, mais il ne faut pas oublier ce qui vient autour du projet, c'est-à-dire les livraisons, la réhabilitation, les stratégies foncières et programmatiques de la ville, etc. Le métier d'architecte s'est enrichi et c'est une bonne chose car il répond désormais pleinement aux enjeux de la ville et des territoires de demain.